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15H53 - jeudi 27 février 2025

Frédéric Péchenard : « Contre l’insécurité à la cyber-insécurité, la police doit investir massivement dans l’IA »

 

La sécurité n’est plus seulement une affaire de policiers et de gendarmes en patrouille dans les rues, mais une guerre de l’ombre qui se joue à coups d’algorithmes, d’intelligence artificielle et de cyberattaques d’une sophistication sans précédent.

Lors de la soirée organisée par le Think Tank CAP et Opinion Internationale, Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la Police nationale et vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, a livré une analyse sans concession sur les retards du système sécuritaire français. Loin des débats politiciens et des sempiternelles querelles sur le nombre d’effectifs, il a posé les deux seules questions qui vaillent : « quelles sont les missions des forces de l’ordre ? Quels sont les moyens concrets que nous voulons leur donner pour répondre aux défis de demain ? »

Car le problème n’est pas tant le nombre de policiers et de gendarmes que la façon dont on les utilise et l’arsenal technologique indispensable dont ils ont besoin. Frédéric Péchenard fustige un archaïsme institutionnel qui bride l’innovation et empêche la modernisation des outils de lutte contre la criminalité, notamment numérique. À l’ère des cyberattaques massives, de l’espionnage industriel automatisé et des ransomwares capables de paralyser des infrastructures entières, « le débat ne devrait plus être sur l’augmentation des effectifs, mais sur la mise à niveau des technologies de détection, d’anticipation, d’intervention, de formation des personnels et surtout des investissements inhérents » détaille Frédéric Pechenard et de poursuivre « Et pourtant, la France continue de tergiverser ».

Prenons l’exemple des transports en commun franciliens, un domaine où le vice-président de la région Ile-de-France a la main au côté de la présidente de la Région capitale, Valérie Pécresse. Près de 80 000 caméras quadrillent le réseau, un chiffre impressionnant en soi, mais largement sous-exploité. « Grâce à l’intelligence artificielle, ces caméras pourraient détecter des comportements suspects, déclencher des alertes en temps réel et permettre aux forces de l’ordre d’intervenir avant qu’un incident ne survienne » commente Frédéric Péchenard.

Ce n’est pas de la science-fiction, mais une réalité déjà opérationnelle dans d’autres pays. « Mais en France, la frilosité du législateur entrave l’efficacité sécuritaire » fustige le vice-président. « L’expérimentation de l’IA dans les transports lors des Jeux Olympiques aurait pu être un tournant, mais la loi qui autorisait ce déploiement est tombée ».

Ce refus d’intégrer les nouvelles technologies ne se limite pas aux transports. Il s’agit d’un problème structurel qui gangrène toute la chaîne sécuritaire. L’ADN, outil révolutionnaire dans l’élucidation des crimes, a mis quinze ans avant d’être pleinement exploité en France, quand les Britanniques en faisaient déjà une arme décisive dans leurs enquêtes criminelles. « Aujourd’hui, nous risquons de reproduire le même retard avec l’intelligence artificielle et les technologies de cybersécurité » alerte Frédéric Péchenard. « À force de débattre sur des concepts idéologiques, nous laissons le crime numérique proliférer sans y opposer une riposte adaptée ».

Mais plus que des technologies, c’est aussi un changement de paradigme qu’il faut amorcer. Péchenard le martèle : « le système actuel est sclérosé par une répartition absurde des moyens. Chaque réforme se traduit par un renforcement des effectifs, mais rarement par une modernisation des outils. Aujourd’hui, la masse salariale représente 90% du budget des forces de l’ordre, laissant une marge de manœuvre dérisoire pour les équipements, la formation et l’innovation ». Une politique qui ne fonctionne pas : les effectifs augmentent, mais la présence sécuritaire sur le terrain et le taux d’élucidation des crimes diminuent.

Le véritable levier de transformation est ailleurs. Il est dans la formation, dans l’anticipation, dans l’intégration de la cybersécurité dans la stratégie globale de sécurité publique. Il ne s’agit pas d’abandonner le terrain au tout-numérique, mais de comprendre que l’avenir de la sécurité ne se joue plus seulement dans la rue, mais aussi dans l’invisible. L’intelligence artificielle ne remplacera pas la police et la gendarmerie, mais elle peut multiplier leur efficacité, comme elle l’a déjà fait dans d’autres domaines.

Selon Frédéric Péchenard, « lorsqu’on dote les forces de l’ordre d’outils modernes, elles deviennent plus performantes. En trente ans, le taux d’élucidation des homicides est passé de 70% à près de 90%, non pas grâce à une explosion des effectifs, mais grâce à la police scientifique, à l’ADN et à la traçabilité numérique ».

Alors que faire ? La réponse tient en trois idées : modernisation, audace législative, coopération. Moderniser en dotant les forces de l’ordre des outils adaptés, en mettant fin aux blocages juridiques qui freinent l’utilisation des technologies, et en renforçant la coopération entre l’État et les acteurs de la cybersécurité.

Si la France veut rester une puissance en matière de sécurité, elle doit prendre ce virage maintenant. Car les criminels, eux, n’attendent pas.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

5 idées clés à retenir

  1. L’IA, un levier essentiel pour la sécurité
    La lutte contre la criminalité ne repose plus uniquement sur les effectifs, mais sur les technologies d’anticipation et d’intervention.
    L’intelligence artificielle peut améliorer la détection des menaces et la rapidité des interventions.

  2. Un retard français dans l’innovation sécuritaire
    L’exemple des caméras sous-exploitées dans les transports illustre ce retard technologique.

  3. Un archaïsme institutionnel qui freine la modernisation
    Le débat politique se focalise sur l’augmentation des effectifs plutôt que sur l’adaptation aux nouveaux défis sécuritaires.
    90% du budget des forces de l’ordre est consacré aux salaires, laissant peu de marge pour l’équipement et la formation.

  4. L’urgence d’un changement de paradigme
    L’intelligence artificielle ne remplacera pas la police, mais peut décupler son efficacité, comme l’a fait la police scientifique avec l’ADN.
    La cybersécurité doit être intégrée comme un pilier de la stratégie de sécurité publique.
  5. Trois axes pour un virage sécuritaire réussi
    Modernisation
    : doter les forces de l’ordre d’outils adaptés.
    Audace législative : lever les blocages juridiques freinant l’usage des nouvelles technologies.
    Coopération : renforcer les synergies entre l’État et les acteurs de la cybersécurité.
Directeur de la publication

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