Alors que le Salon de l’Agriculture bat son plein à Paris, la Martinique est aux abonnés absents faute de moyens financiers pour exposer. Même Mayotte, sinistrée, a tenu son rang. Pourtant l’Agriculture est l’une des priorités de la CTM (paroles, paroles). On vise l’autonomie alimentaire en Martinique (toujours des mots, encore des mots). Heureusement qu’il y a le spiritourisme, grâce à notre bon vieux Rhum. Malgré cette absence remarquée d’un stand officiel, et alors que notre banane et notre rhum ont tenté de suppléer cette absence martiniquaise, faisons le point sur les difficultés auxquelles fait face notre monde agricole. De la banane à la canne à sucre, en passant par l’élevage et les filières de diversification, les agriculteurs de l’île se heurtent à de multiples défis qui menacent la pérennité de leur activité. À l’heure où, dans certains bureaux climatisés, on rêve d’autonomie alimentaire, dressons l’état des lieux précis et voyons comment sortir de cette impasse.
La banane est en péril
Premier pilier de l’agriculture martiniquaise, la filière banane subit de plein fouet la concurrence internationale, la fluctuation des prix et les restrictions sanitaires imposées par l’Union européenne et renforcées par la France. Les producteurs doivent composer avec des normes environnementales de plus en plus strictes. Si des efforts sont réalisés en matière de production durable, ceux-ci sont loin de compenser les coûts de culture élevés. Et par-dessus les difficultés “normatives”, s’ajoute un champignon destructeur, la Cercosporiose Noire. Cette maladie ravage les plantations, entraînant une chute drastique des volumes produits. Les rendements sont en baisse depuis plusieurs années, et les perspectives ne sont guère encourageantes. Face à ce drame, les moyens de lutte sont dérisoires. La simple décision d’utiliser des drones, comme cela se fait partout dans le monde, dort encore dans les tiroirs de l’administration française.
La canne à sucre en souffrance
L’industrie sucrière et rhumière repose sur un modèle fragile, dépendant des quotas et des subventions. Le vieillissement des exploitants, le manque de main-d’œuvre et la rentabilité décroissante menacent la culture de la canne. Les contraintes environnementales frappent aussi cette filière dont les solutions alternatives se révèlent bien trop coûteuses pour les agriculteurs. Par ailleurs, l’agonie de la dernière sucrerie de l’île, le Gallion, prive les producteurs d’un débouché stable, autre que les distilleries rhumières.
Élevage et diversification en désarroi
L’élevage et la diversification agricole sont en grande difficulté en raison notamment de la désorganisation des filières. L’élevage martiniquais souffre du coût prohibitif des intrants (aliments, soins vétérinaires, équipements) et de la mauvaise valorisation des produits sur les marchés. La forte dépendance aux importations fragilise également la compétitivité des éleveurs locaux, tandis que les enjeux sanitaires (maladies, réglementations strictes) limitent leur capacité à se développer.
Face aux difficultés des filières historiques, la diversification agricole apparaît comme une nécessité. Pourtant, malgré un climat favorable à de nombreuses cultures (fruits tropicaux, maraîchage, plantes médicinales), ces productions peinent à s’imposer en raison d’un manque de structuration des filières, d’une logistique coûteuse et d’une distribution demandeuse de régularité d’approvisionnement et de prix stables. L’insularité et les contraintes environnementales pèsent lourd sur l’économie agricole locale, dont les professionnels ne sont toujours pas parvenus à s’unir dans une grande filière forte et efficace, à l’instar des bananiers, par exemple.
Alors, que faire ?
Face à ces défis, plusieurs pistes d’action s’imposent pour préserver et renforcer l’agriculture martiniquaise :
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Encourager l’innovation et l’agroécologie : développer des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, adaptées aux contraintes locales et moins dépendantes des intrants importés. Mais nous sommes en climat tropical et cette stratégie est bien plus coûteuse qu’en climat tempéré. Elle nécessite des aides spécifiques importantes.
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Mieux accompagner les agriculteurs : simplifier les démarches administratives, renforcer les aides à la modernisation des exploitations, lever les freins qui limitent les pratiques modernes (drone, par exemple).
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Soutenir la transformation locale et les circuits courts : encourager la consommation des produits locaux à travers des incitations pour les restaurations scolaires, les hôpitaux et les cantines d’entreprises.
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Investir dans la formation et l’attractivité du secteur : “Il ne manque pas de terres agricoles en Martinique. Il manque des agriculteurs !” Sensibiliser les jeunes aux métiers agricoles et revaloriser ces professions par des formations adaptées aux nouvelles pratiques agricoles.
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Réunir les groupements et développer des infrastructures mutualisées de stockage et de distribution : réduire les coûts logistiques pour faciliter l’accès aux marchés locaux et à l’export.
L’agriculture martiniquaise, au-delà de son importance économique, est un enjeu fondamental pour la souveraineté alimentaire et la préservation des savoir-faire locaux. Il est urgent d’agir pour garantir sa viabilité et assurer un avenir durable aux agriculteurs et aux consommateurs de l’île.