Edito
10H15 - mercredi 5 mars 2025

Accord entre Orano et la Mongolie : un signal fort pour les investisseurs. L’édito Opinion business de Michel Taube

 

Le récent accord entre Orano, leader français de l’énergie et du combustible nucléaires à l’international, et le gouvernement mongol pour l’exploitation d’une mine d’uranium est une bonne nouvelle pour le nucléaire français, mais aussi pour les investisseurs mondiaux qui s’intéressent aux vastes ressources minérales largement sous-exploitées du pays. Alors que la Mongolie s’engageait vers une politique de nationalisation des actifs miniers détenus par des firmes internationales, cet accord pourrait être le premier jalon d’une ouverture du commerce extérieur, à condition qu’il soit accompagné d’une réforme structurelle du cadre réglementaire et fiscal en vigueur.

Accord historique avec Orano

Le 17 janvier 2025, alors que la France et la Mongolie célébraient le 60e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, les deux gouvernements ont signé un accord d’investissement historique d’une valeur d’1,6 milliard de dollars. Il porte en priorité sur le développement de la mine d’uranium de Zuuvch Ovoo dans le cadre d’un méga-projet associant le groupe mongol MontAtom au spécialiste français du nucléaire Orano. Lors de la cérémonie de signature, le Premier ministre mongol Luvsannamsrai Oyun-Erdene a souligné le rôle majeur de la France en tant que « troisième voisin » et « partenaire de confiance en Europe » pour la Mongolie. Un pays dont l’économie est géographiquement enclavée entre les deux voisins russe et chinois.

Fort de 27 ans de présence en Mongolie pendant lesquels il a mené d’importants travaux d’exploration, le groupe Orano est parvenu à s’imposer comme un partenaire fiable pour exploiter le gisement de Zuuvch-Ovoo, découvert dans les années 2000 dans le désert de Gobi. Un dépôt qui recèlerait pas moins de 90 000 tonnes d’uranium et dont l’exploitation placerait la Mongolie parmi les principaux producteurs mondiaux. Cet accord semble arriver à point nommé, aussi bien pour Paris que pour Oulan Bator. Orano cherche en effet à diversifier son approvisionnement stratégique depuis son expulsion du Niger – la mine de Zuuvch-Ovoo devant générer quelque 2 500 tonnes d’uranium par an à partir de 2029, soit un quart de la production annuelle d’Orano aujourd’hui –, tandis que le gouvernement mongol accueille favorablement les retombées économiques d’un tel investissement qu’il estime à hauteur de 5 milliards de dollars.

 

Orano échappe aux projets de nationalisation d’Oulan Bator

Cet accord historique avec Orano est doublement prometteur dans la mesure où il semble également annoncer une inflexion significative de la politique d’ouverture d’Oulan Bator. Jusque-là, le potentiel minier du pays pâtissait d’un climat des affaires en voie de dégradation, singulièrement entravé par un projet d’amendement à la loi sur les minerais qui prévoyait l’expropriation d’une partie significative des actifs miniers mongoles détenus par des entreprises étrangères. En limitant ces entreprises à un droit de propriété allant jusqu’à 34% maximum des actions d’une société impliquée dans l’exploitation d’un gisement de minerais jugé « stratégique », cet amendement aurait contracté mécaniquement le commerce extérieur et la progression de la filière.

Plus généralement, la montée du nationalisme et des préoccupations environnementales au sein de la population mongole a conduit à l’émergence d’un cadre législatif hostile aux acteurs miniers. Le bras de fer avec les firmes internationales s’est notamment illustré dans les controverses avec le groupe anglo-australien Rio Tinto, dont l’exploitation de l’immense mine de cuivre d’Oyu Tolgoi a été inaugurée en 2023 avec pas moins de dix ans de retard. Les combats sur la propriété de la société gérant la mine, ainsi que sur le partage des profits, avaient conduit à une répartition des capitaux laissant un tiers des parts au gouvernement mongol. Aussi, l’accord qui vient d’être signé avec Orano laisse-t-il présager un revirement d’Oulan Bator, qui troquerait désormais sa politique désincitative de nationalisation pour des arrangements à l’amiable portant sur une combinaison d’actions préférentielles et de redevances sur les revenus de l’acteur exploitant.

 

Des perspectives qui restent à consolider

Si c’est bien l’optimisme qui s’impose pour les perspectives de développement du secteur minier en Mongolie, encore faut-il que le pays se dote d’un cadre législatif rassurant et incitatif pour que l’ombre de l’expropriation planant au-dessus des acteurs privés se dissipe structurellement. Car l’arrangement conclu avec Orano ne s’est pour l’instant pas traduit par une modification du cadre juridique, et il reste encore l’exception plutôt que la règle. Dès lors, nombre d’acteurs privés sont plongés dans l’incertitude et pourraient être découragés de s’engager dans des investissements de long terme dans un pays qui émarge seulement à la 81e position du classement Ease of Doing Business de la Banque mondiale.

Ainsi, en 2023, le département d’État américain avertissait : « À moins que la Mongolie n’adopte un environnement commercial stable qui crée de manière transparente et applique de manière prévisible des lois et des réglementations, les investisseurs trouveront probablement la Mongolie trop risquée et opteront pour des pays plus compétitifs ». Pour attirer les groupes compétents du secteur privé et les investissements nécessaires au décollage de son économie, la Mongolie manque encore de normes et de régimes fiscaux compétitifs qui protègent les investisseurs. C’est seulement en construisant un environnement réglementaire stable et prévisible qu’elle pourra valoriser son immense potentiel minier. Le coffre-fort géologique du pays est estimé entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars, grâce à ses immenses réserves de cuivre, d’or, de charbon ou encore d’uranium.

La Mongolie sera-t-elle une nouvelle frontière pour les investisseurs français ?

 

Michel Taube