Sois belle et ouvre la
12H32 - vendredi 7 mars 2025

Amy Bello et Adama Paris, les nouvelles reines d’Afrique. L’édito Opinion Afriques de Gilles Verdez

 

Créatrice de mode et restauratrice, Adama Paris et Amy Bello rendent fière l’Afrique. Ces deux femmes africaines revendiquent leurs racines tout en partant à la conquête -pacifique- du monde dans leurs univers respectifs.

Les deux entrepreneuses incarnent le dynamisme et la modernité d’un continent qui considère que la femme, source de vie, appartient au sacré. Certes, l’égalité homme-femme y est loin d’être assurée. Un grand nombre de femmes africaines restent encore dépendantes, à l’écart des axes de développement économique. Mais, en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, voici deux parcours de vie remarquables. Dans ce premier volet, nous irons à la genèse de la création, aux sources de l’inspiration d’Adama Ndiaye et d’Amy Bello.

 

Adama Paris, celle qui embellit

La styliste a su vaincre les résistances paternelles pour créer une marque connue désormais dans le monde entier.

Ses mots virevoltent comme ses vêtements les soirs de défilé. Adama Amanda Ndiaye parcourt le monde avec grâce et légèreté, appose sa griffe à Paris, Prague, Bahia ou Dakar, crée au fil de ses inspirations. Elle tourne pour Canal + une émission dans laquelle elle fait partie du jury. La plus grande styliste et créatrice de mode africaine jongle brillamment avec les activités.

Fille de diplomate sénégalais, née à Kinshasa, Adama se penche avec une voix enjouée et enthousiaste sur son itinéraire singulier : « Dans notre famille, nous étions comme des pigeons voyageurs. Mon père était diplomate et nous avons séjourné dans douze pays. Mes parents étaient instruits. Ma sœur est née à Bruxelles, nous avons vécu en Égypte, en Côte d’Ivoire… » Elle en a conservé une faculté d’adaptation hors normes. « Quand tu es gamine, cela ne te plaît pas trop de bouger tout le temps, mais cela a construit la femme indépendante que je suis aujourd’hui. » Elle se rend par la suite compte des privilèges induits par la situation familiale, se souvient des chauffeurs qui les conduisaient partout.

Pendant sa jeunesse, elle admire sa mère, « jolie femme d’ambassadeur toujours bien habillée. » Sa sœur jumelle ne partage pas son goût pour les défilés, mais Adama ne rate pas une occasion d’y accompagner sa mère. Le mannequinat lui tend les bras. Elle contemple avec admiration la regrettée Katoucha, voit énormément de sublimes femmes noires qui attirent son regard.

Au fil des défilés, une certitude naît : elle sera celle qui rend belle. Celle qui magnifie, sublime. Sa mère coud, elle s’en inspirera. Reste la mission la plus complexe : convaincre son père. « Le déclic est venu petit à petit, mais je me suis retrouvée en confrontation avec mon père, un vrai papa africain. Il m’a expliqué que travailler dans ce domaine, c’était n’importe quoi, quasiment de la prostitution. Un père un peu vieux jeu, quoi… » Alors, Adama passe un deal avec la figure paternelle tutélaire, qu’on ne brave surtout pas. « Les petits blancs peuvent se rebeller, pas nous ! » D’autant qu’elle se revendique « fille à papa ». Le marché est limpide : « Tu fais tes études, on verra après ».

À dix-sept ans, Adama se lance donc dans des études de sciences économiques et respecte le fameux deal. Elle est même embauchée à la banque. Mais la passion chevillée au cœur et au corps, elle ne renonce pas à sa vocation, bien au contraire. « Je commence les défilés à la Fac et sur le campus on me surnomme « Madame Mode ». À l’époque, j’étais à Paris et je fabriquais mes robes Porte de Saint-Ouen. » Elle défile dans la célèbre boîte de nuit le Keur Samba. Son physique de top-model lui autorise une destinée glorieuse sur les podiums, mais elle ne rêve que d’embellir les autres femmes. L’été, elle part faire du surf à La Baule, une autre de ses passions, parcourt les marchés pour acheter des tissus. Après Dakar, elle découvre le Festival de Cannes, mais n’oublie pas ses racines : « Dakar me rend telle que je suis. »

À la banque, son travail, un principe de réalité prévaut : elle n’est pas faite pour réussir une carrière dans ce secteur. Elle le reconnaît sans détour. « J’arrivais en retard, je ne voulais pas de portefeuille de clients. Je ne faisais qu’emmerder le monde. Je vendais mes robes à tout le monde. Alors, la banque m’a virée. »

Mais sa chef d’agence détecte le potentiel d’Adama et ne s’arrête pas à quelques retards. Elle accorde à la styliste en herbe un prêt qui va lui permettre de se lancer dans sa carrière de manière professionnelle. Le seul prêt qu’elle contractera.

Elle peut se lancer dans le stylisme, rejoindre rapidement la cour des grands. À vingt ans, elle dépose le nom de sa marque : Adama Paris. « Adama tout seul, c’était déjà pris. Et mon nom, Ndiaye, est très commun. Donc, j’ai choisi Adama Paris. » Elle crée en fait son entreprise avant de présenter la moindre collection. La fille de diplomate initie alors une aventure fulgurante. Elle va bientôt avoir l’idée de la Dakar Fashion Week, « une référence » dont elle est « trop contente ». Elle se mue en chroniqueuse pour Canal+, se lance dans la télévision avec Fashion Africa Channel.

Adama Paris est alors à l’aube d’une inéluctable consécration sur laquelle nous reviendrons. 

 

Amy Bello, celle qui nous régale

La restauratrice reçoit les grands de ce monde dans son établissement parisien. Elle raconte son parcours hors normes.

Elle plante fixement son regard dans le vôtre. Amy Bello se replonge dans son passé et les rizières de Niamey, au Niger, se reflètent dans la couleur marron de ses yeux. Attablée à l’African Lounge, son restaurant chic de la rue La Pérouse, à Paris, elle revoit son enfance lorsque son père travaillait le bois de manière industrielle dans son enfance, jusqu’à équiper les ministères, la présidence de la République du Niger. « Il était touche-à-tout, était même devenu député. »

Ses parents se soucient de son avenir et se trouvent confrontés à une grève dans les écoles, qui se transforme en année blanche. « Ceux qui avaient les moyens envoyaient leurs enfants dans des pays limitrophes, se remémore-t-elle. Je suis parti au Togo étudier la comptabilité, j’ai passé mon Bac au Bénin. J’ai toujours adoré bouger. »

Elle arrive ensuite en France pour se spécialiser dans la communication et loge chez une cousine, dans un foyer de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Elle enchaîne les petits boulots : McDo, femme de ménage, nounou.

« J’ai alors demandé à mes parents de ne plus m’envoyer de sous, pour être autonome. J’ai travaillé dans une famille aisée qui m’adorait et me suis liée d’amitié avec une dame qui tenait une boutique de prêt-à-porter. » Amy la remplace souvent, arrête son activité de nounou. Et quand cette dame ouvre un restaurant dans Paris, à Passy, Amy Bello le gère.

Elle se marie et découvre son appétence et son talent en matière d’hospitalité. « Je recevais beaucoup de monde chez moi, avenue Georges Mandel, dans le XVIe arrondissement de Paris. J’avais un jardin de 90 mètres carrés et je m’apercevais qu’après les dîners, les gens ne partaient jamais. Ils étaient bien, comme chez eux. »

Une idée germe alors : « Pourquoi ne pas ouvrir à Paris un restaurant africain signe de ce nom, classe ? J’ai mené une étude de marché. J’ai vu que c’était possible et ai reçu deux propositions. » L’une concerne l’établissement l’Aventure, avenue Victor-Hugo à Paris, l’autre des locaux rue Jean-Giraudoux, qui feront sa réputation avant la rue La Pérouse. Le choix s’impose en effet de lui-même : « Pour le premier, on me demandait un million d’euros juste pour le fonds de commerce, pour le second, huit cent mille euros pour les murs et le fonds. »

L’African Lounge ouvre donc en 2007 rue Jean-Giraudoux et s’attire illico les foudres des riverains. Pas parce qu’il s’agit d’un restaurant. « Mais parce qu’il s’agissait d’un restaurant africain », rectifie avec force la cheffe d’entreprise. Les plaintes s’amoncellent, malgré la présence d’un vigile. « La police débarquait à la suite à d’appels anonymes. Je me suis donc rendue au commissariat de police, j’ai rencontré le commissaire et je lui ai proposé d’envoyer des hommes en civil, sans me prévenir. Ils ont vite constaté qu’il n’existait pas de motifs de plainte. »

Le restaurant devient vite une institution. Amy reçoit les grands de ce monde, comme Jacques Chirac, sans publicité mais uniquement par l’entremise du bouche-à-oreille. Hommes politiques, footballeurs, chanteurs s’y pressent, tout comme les mannequins lors de la Fashion Week. Tous les palais trouvent leur bonheur, du gombo au dambou du Niger, savante alliance de semoule et d’épinards. Tout est cuisiné frais « à la demande », le tiep étant préparé le jour même. Naomi Campbell fréquente l’établissement, Serena Williams l’adopte comme QG. « Quand elle a gagné Roland-Garros, elle a privatisé le restaurant rue Jean-Giraudoux. Lorsqu’elle passe une semaine à Paris, elle vient ici au moins quatre jours, midi et soir », sourit Amy. Elle cultive son image de raffinement chic et de propreté jusque dans les moindres détails. « La cuisine est immense, toujours propre, les toilettes sont nickel, j’y tiens. »

Nantie de son succès, Amy a ouvert un restaurant à Saly, au Sénégal. Cent cinquante à deux cents couverts. L’expérience tourne court. « Mon mari, italien, a même fait une dépression. On a tout stoppé. L’Afrique n’est pas prête et a encore du chemin à faire. À Saly, les gens qui vont dîner dehors cherchent de la musique, des repas qui ne coûtent rien, des filles qui se prostituent. Les soirées chics, elles, se déroulent dans des maisons. On a vendu mais Saly m’a fait grandir. L’Afrique est mon continent, mais même si vous me donnez un établissement là-bas, je n’en veux pas, merci. » Elle y retournera peut-être, plus tard, pour ses vieux jours. En attendant, Amy Bello poursuit son parcours parisien. Et c’est l’Afrique qui vient à elle.

 

Gilles Verdez,
journaliste

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