Le 28 novembre 2024, le ministre des Affaires étrangères tchadien, Abderaman Koulamallah, annonçait, dans la foulée du déplacement de son homologue français à Ndjamena, la fin de l’accord de coopération militaire technique, signé avec Paris, le 6 mars 1976 et révisé en septembre 2019. Le retrait des forces françaises a débuté le 20 décembre dernier. Il est, désormais, effectif, depuis le 31 janvier 2025, avec la rétrocession de sa dernière base militaire aux forces armées tchadiennes.
Il est vrai que la base aérienne Sergent Adji-Kossé, vient clore une présence militaire symboliquement ininterrompue depuis 1963, voire depuis 1940, à travers l’épopée de la Deuxième Division blindée (2e DB), qui prend corps et naissance dans l’actuel camp Kossei, ex-Fort Lamy.
Le président sénégalais, récemment élu, en mai dernier, Bassirou Diomaye Faye, avait, quant à lui, annoncé, le mardi 31 décembre 2024, la fermeture de toutes les bases militaires étrangères, nommément les quatre emprises militaires françaises, au Sénégal, dès 2025, et ce malgré la rénovation des accords de défense et de sécurité, signés entre Paris et Dakar, le 29 mars 1974 et amendés à de nombreuses reprises, notamment le 7 septembre 2021 et plus récemment, en avril 2012.
Par ailleurs, dans la foulée, le discours de fin d’année à la Nation, du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, annonçait, à son tour, un retrait « coordonné » et « organisé » des forces françaises présentes en Côte d’Ivoire, à partir de janvier 2025, caractérisé, notamment par le départ du 43ème Bataillon d’Infanterie de Marine, de Port-Bouët.
Ces annonces concomitantes, remettant en cause la présence militaire française au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, par les présidents respectifs des trois pays, semble, pour beaucoup, la preuve du désamour patent entre le continent africain et la France.
La fermeture de nos bases militaires pré-positionnées, depuis plusieurs décennies, s’inscrit dans le contexte de l’expulsion des troupes françaises du Mali et du Burkina-Faso, en novembre-décembre 2022 et du Niger, en décembre 2023, et de la fin brutale de l’opération Barkhane, pourtant, censée, depuis dix ans, aider ces pays à faire face au rouleau compresseur et oppresseur des groupes armés terroristes, agissant sur leurs territoires respectifs.
C’est, du reste, à ces trois pays (Mali, Burkina-Faso et Niger) que faisait allusion, le Président de la République, quand il évoquait devant les ambassadeurs de France, réunis le 6 janvier dernier à l’Elysée que ces derniers, avaient « oublié de dire merci » à la France. Il s’agit, en effet, de ne pas oublier le sacrifice des 58 militaires français décédés au Sahel, dont 46 engagés au Mali, dans la lutte anti-terroriste, depuis 2013 !
La France, est-elle, pour autant réellement chassée du continent ?
Rien n’est moins sûr. Il convient, en effet, de ne pas céder d’emblée à la « francophobie » ambiante que les thuriféraires de Moscou ou de Bakou, semblent habilement brandir, à raison d’agents provocateurs, richement rémunérés. Quelques manifestants savamment appelés à manifester devant nos ambassades, instituts, alliances et lycées français ne font pas l’opinion publique africaine dans son ensemble, encore moins dans une jeunesse, avide de francophonie et désireuse de venir étudier en France !
Faut-il rappeler que la, France a, avant tout, répondu aux attaques à la souveraineté nationale et l’intangibilité des frontières, en particulier au Mali, menées par des groupes armés et organisations terroristes, caractérisées par un islamisme rampant, depuis la fin des années 1980 ?
Du reste, ces organisations terroristes et irrédentistes, justifient toujours leurs actions à l’encontre de régimes politiques qu’ils considèrent comme corrompus et trop proches de valeurs occidentales, qu’ils entendent combattre.
Cette nouvelle donne stratégique, confirme plusieurs réalités qui s’imposent, avec force, tant aux Africains qu’aux Européens.
Les deux derniers sommets de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), tenus le 7 juillet 2024 et 29 janvier 2025, à Abuja, au Nigeria, sont venus confirmer la remise en cause structurelle de l’organisation sous-régionale ouest-africaine, actant le départ effectif des trois états de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina-Faso, Niger), portée sur les fonts baptismaux, en septembre 2023.
Le désaveu vis-à-vis de la CEDEAO semble, même, susciter un intérêt de certains états de la sous-région, tels que le Togo, le Tchad, le Ghana et le Sénégal, qui regardent avec intérêt, ou du moins avec empathie, cette nouvelle dynamique régionale, qui va de pair, avec l’annonce quant à la mise en place d’une force militaire unifiée, composée de 5 000 hommes issus des forces armées des trois pays de l’AES.
Gageons que la coexistence, dans un premier temps, soit possible entre les deux organisations (CEDEAO, réduite à 12 États membres) et l’AES (forte, aujourd’hui de 3 membres constitutifs) auxquels viendront, sans doute, se rajouter d’autres états sahélo et ouest-africains.
Concernant le Tchad, la présence française, depuis l’indépendance, aura été rythmée par les nombreuses opérations militaires que nous y avons menées – dans le contexte du voisinage libyen, soudanais, nigérian-nigérien et centrafricain, fortement crisogène. Ces opérations, l’ont été dans le cadre d’actions militaires partenariales avec les forces armées tchadiennes régulières, et ce, depuis la première opération Limousin-Bison (1969-1972), l’opération Tacaud (1978-1980) en passant par l’opération Manta (1983-1984) – pour défendre la bande d’Aaozou des velléités annexionnistes du Colonel Mouammar Kadhafi – jusqu’à l’opération Epervier (1986-2014). Cette dernière constituait, en réalité, depuis août 2014, l’ossature de l’actuelle opération Barkhane.
La France, a ainsi perdu, entre 1968 et 2008, 153 des siens au Tchad. Il s’agit là, du plus lourd tribut consenti en opérations extérieures, en prenant en compte les quelque 774 militaires décédés depuis 1963.
Si les retraits français cristallisent une impression de sentiment anti politique française en Afrique, il ne faut pas oublier le cas de Djibouti, où des intérêts réciproques clairement exprimés ont permis une renégociation équilibrée du Traité de Coopération en Matière de Défense (TCMD) signé en 1984 et renouvelé plusieurs fois, dont le plus récemment, le 24 juillet 2024.
Les liens sont profonds et anciens entre la France et la République de Djibouti, mais dans un contexte d’ultra-concurrence et dans une région hautement stratégique, aucune position n’a été considérée comme acquise par la France.
Le cadre de renégociation entre Paris et Djibouti a été clairement établi ; les négociations ont été menées de manière franche et respectueuse ; et, surtout, les contreparties respectives ont été dûment valorisées.
Au-delà de l’accord en lui-même, la communication annonçant ce dernier a elle-même fait l’objet d’une concertation mutuellement bénéfique entre les deux parties. Si cette précaution avait été prise avec nos partenaires tchadien et sénégalais, cette impression de retrait précipité et subi n’aurait sans doute pas prévalu.
En tout état de cause, cette approche pragmatique et efficace de la diplomatie que Djibouti a développée avec l’ensemble de ses partenaires gagnerait à être une source d’inspiration pour de nombreux pays.
Cependant, il s’agit aussi de rappeler quelques vérités, un peu hâtivement oubliées…
La première, perdue dans les limbes de l’histoire constitutionnelle de notre pays, vient nous rappeler que la « Communauté franco-africaine », plus connue sous son vocable de « Communauté française », que le Général Charles de Gaulle, créa en 1958, fait partie intégrante de la Constitution du 4 octobre 1958, par le truchement de son article 76. En effet, ce dernier, concernait l’administration de douze de nos anciennes colonies d’Afrique occidentale et équatoriale française (Soudan français devenu le Mali, Côte d’Ivoire, Dahomey devenu le Bénin, Gabon, l’Oubangui-Chari devenu la RCA, le Moyen-Congo devenu le Congo-Brazzaville, Mauritanie, Madagascar, Niger, Tchad, la Haute-Volta devenue le Burkina-Faso).
Même si la Communauté française périclita en 1960, à l’orée des indépendances, il convient de rappeler que les pères fondateurs des indépendances africaines (le Sénégalais, Léopold Sedar Senghor ; l’Ivoirien, Félix Houphouët-Boigny ; le Malien, Modibo Keïta ; le Nigérien, Hamani Diori, entre autres…) furent ministres et parlementaires de la 4ème République. Ces derniers avaient donc inscrit, de facto, dans le « domaine commun » entre la France et leurs jeunes nations souveraines, le secteur de la défense. Il faudra attendre, de jure, le 4 août 1995, pour voir l’abrogation des dispositions de l’article 76 de notre Constitution de 1958.
Par ailleurs, il nous faut rappeler que les accords militaires, issus des indépendances africaines, avaient déjà subi un important « toilettage », en 2008, par le biais de la mission confiée par Nicolas Sarkozy à l’ancien ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie (2002-2004), Pierre-André Wiltzer, en sa qualité de Haut représentant pour la Sécurité et la prévention des conflits, en mars 2008.
L’on en viendrait presque à oublier, que c’est à l’occasion du discours prononcé par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, au Cap, en Afrique du Sud, le 28 février 2008, que ce dernier avait, justement, confirmé la publication in extenso, selon le « principe de la transparence », des quelque 28 accords de coopération militaires, devenus accords de partenariat de sécurité et de défense qui nous lient aux pays du continent africain, parfois hors de ce que l’on avait coutume d’appeler « les pays du champ », c’est-à-dire nos anciennes colonies.
Il était déjà ainsi fait mention de l’ardente nécessité d’œuvrer en priorité à « aider l’Afrique à bâtir, comme elle en a l’ambition, son propre dispositif de sécurité collective », comme l’indiquait l’ancien Président de la République, en Afrique du Sud, en 2008.
Dès lors, la question d’un désengagement de la France était ainsi clairement posée, afin de mieux parvenir à la mise en exergue de « l’africanisation » et de l’appropriation endogène de l’Architecture de Paix et de Sécurité Africaine (APSA) pourtant promise, depuis le Sommet de l’Union Africaine (UA) de Durban, en 2002 !
Nul ne saurait, en effet, éluder que le prépositionnement militaire français, a vécu.
Nombreux sont ceux, dans les cercles diplomatiques, au sein des forces armées, dans les milieux universitaires, qui cherchent à définir un nouveau partenariat avec le continent africain. Plusieurs rapports parlementaires récents, évoquent, ainsi, une relation entre la France et le continent africain dégradée, à l’instar de celui de Bruno Fuchs, Député du Haut-Rhin, actuellement Président de la Commission des Affaires Étrangères, Délégué général de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF) et de sa collègue, Michèle Tabarot, présentés, à l’Assemblée nationale, en novembre 2023.
Il en va de même, avec celui, nettement plus critique sur la politique africaine du président Emmanuel Macron, présenté, en janvier 2025, par le Sénateur républicain, des Français de l’Étranger, Renan Le Gleut et ses collègues, la sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, Marie-Arlette Carlotti et le sénateur centriste de Charente, François Bonneau.
Les militaires français eux-mêmes, estiment qu’il convenait – enfin – de se redéployer, en bonne intelligence et surtout en concertation, à l’aune de l’évolution exponentiellement démultipliée et accélérée des menaces transverses auxquelles les forces armées pré-positionnées ou déployées en OPEX – comme leurs frères d’armes maliens, burkinabé, nigériens, tchadiens, entre autres – font face.
C’est précisément, la mission confiée par Emmanuel Macron, à l’ancien ministre, Jean-Marie Bockel. En « missi dominici » agile, d’une parole présidentielle pourtant dégradée et plus ou mal comprise par nos partenaires africains, pourtant fin connaisseur des arcanes politico-militaires africaines, ce dernier, en sa qualité d’Envoyé personnel du Président de la République, n’aura, pourtant pu accomplir sa mission, sereinement. Néanmoins, la concertation avec les autorités sénégalaises, ivoiriennes, gabonaises et tchadiennes était et, demeure toujours, l’atout maître dans cette perspective.
Nul ne pourra contester que la philosophie même de la mission confiée à Jean-Marie Bockel n’ait été envisagée sans la concertation indispensable d’un redéploiement et réduction de 2/3 des quelque 300 militaires français encore présents au Sénégal. Il en va de même, dans un volume de force sensiblement équivalent, au Gabon et en Côte d’Ivoire, tandis que ne devaient rester, au Tchad, que 300 militaires français, dans la prolongation de la mission Épervier, depuis 1986 et l’opération Barkhane, depuis 2014.
La persistance de la menace djihadiste terroriste et narco-criminelle au Sahel, aurait dû motiver ce redéploiement, au contraire de la schizophrénie qui semble, désormais, caractériser les processus de prise de décision, tant africain que français.
Rien n’est moins grave, en effet, que le sort quotidien des populations africaines, qui, demeurent les premières victimes de la situation sécuritaire durablement et profondément dégradée, et de facto, des décisions de leurs gouvernants.
Pourtant, la ligne de crête, si étroite soit-elle, existait et demeure un chantier à engager : celui du vaste chantier de la « régionalisation » des emprises militaires françaises. Le modèle de nos 22 écoles nationales à vocation régionales (ENVR) déployées dans dix pays africains (Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon, Congo, Djibouti) depuis les années 1990 est dans tous les esprits.
Ce sont ainsi plus de 20 000 stagiaires africains qui ont été formés, depuis 1997, à raison de 2 800 formés chaque année par seulement quelques centaines de coopérants militaires français, activés par la Direction de la Coopération de Sécurité et de Défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères.
Ces « frères d’armes », partenaires militaires et sécuritaires africains fiables, demeurent, ainsi, hautement spécialisés dans des domaines indispensables à la résilience des États africains : déminage et dépollution du champ de bataille, lutte contre le terrorisme, commandement et planification stratégique, cyber-sécurité, action de l’État en mer, lutte contre la piraterie, protection civile, sapeurs-pompiers, police judiciaire, service de santé des armées, maintien de la paix, prévôté militaire, surveillance des frontières, génie militaire…
S’il est ainsi légitime d’interroger la relation que la France entretient avec ses anciennes colonies, et ce, à l’aune, d’une recomposition du système mondial vis-à-vis duquel les 54 États africains entendent désormais faire mieux et davantage entendre leurs voix, rien ne saurait être plus éloignée de la vérité que de penser que la France n’a plus sa place, ni sur le continent africain, ni dans le contexte d’un nouveau « multi non-alignement » en cours de réalisation.
Pour s’en convaincre, il suffit de garder à l’esprit que la France reste le deuxième investisseur en Afrique en termes de capital accumulé. En réalité, si nos exportations augmentent en volume, ces dernières le font inexorablement moins vite que la taille du marché africain.
Raison de plus pour mieux et plus s’engager en Afrique. Comme le rappelait le Président de la République, Emmanuel Macron, à Rabat, à l’occasion de la visite d’état qu’il y effectuait, fin octobre dernier : dans un monde à, la gouvernance en rapide recomposition, le plus important et déterminant est de bâtir des alliances stratégiques, mutuellement bénéfiques.
Nul doute que la France doit désormais s’atteler à ce que ses partenaires stratégiques du « Sud global » comprennent son ardente volonté de consolider, elle aussi, ces convergences « en autonomie stratégique », et ce, face à des adversaires, inspirés d’un Hubris et dotés d’une détermination « néo-impérialiste », comme l’a évoqué, à bon escient, le Président de la République, à l’occasion de son discours devant les ambassadeurs français, prononcé le 6 janvier dernier.
Cessons donc d’être des « herbivores », dans un monde de prédation, où la loi régulatrice cède à la force débridée, ajouta-t-il, non sans malice, comme un utile rappel que notre avenir sur le continent africain dépend largement d’un aggiornamento qu’il convient d’engager urgemment.
Nul défaitisme, donc, ne saurait nous empêcher de regagner, sur le continent africain, en crédibilité partenariale, tant sur le plan militaire que diplomatique. Car, comme le rappelait Georges Bernanos, « l’espérance est un risque à courir ».
André AGID,
Président de la chaîne de télévision, Global Africa. Auditeur de la 4ème session nationale de l’IHEDN (2024-2025)
Emmanuel DUPUY,
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Auditeur de la 45ème session nationale du Centre des Hautes Études de l’Armement – CHEAR (2008-2009)