Alors que le vote des Français, un vote-sanction pourtant d’ampleur et sans précédent, l’avait relégué au statut de simple figurant, le Président revient au-devant de la scène et joue de nouveau les premiers rôles.
Il n’y a plus un jour sans une déclaration forte, une image avec drapeaux et bannières de notre Président. Pas un jour sans une réunion des ministres autour de lui ou avec d’autres chefs d’État. Même dans les simples réunions de suivi sur le renforcement de la défense européenne, Emmanuel Macron veut être au centre de l’image.
En endossant son grand costume de chef des armées, il reprend son rôle favori celui du Président-Premier ministre : celui qui gouverne, qui dirige ses ministres, les recadre si besoin. L’interprétation qu’il préfère et où il pense exceller. Chasser le naturel, il revient au galop…
Macron n’a pu attendre plus longtemps, cela lui manquait tant. Pourtant, s’il avait su patienter, créer le manque, il aurait pu en profiter plus tard politiquement, et ses fidèles lieutenants avec lui. Macron avait trop besoin d’exister, de réexister, il avait besoin d’une renaissance, d’une re-renaissance pour se sentir à nouveau… en marche. Mais ce besoin psychologique, quasi pathologique n’est pas la seule cause de sa posture de chef de guerre.
Il y a pourtant aussi une réelle nécessité économique. Quelle est notre situation économique ? L’économie française est en panne sèche, avec une hausse du chômage, des fermetures d’usine, des faillites… Les choix budgétaires du gouvernement Bayrou amplifient cette situation (hausse du coût du travail, hausse des taxes, aucune politique du logement…). Le taux de notre dette s’envole depuis la dissolution ratée, les agences de notation dégradent nos notes les unes après les autres et soulignent notre incapacité à diminuer nos dépenses publiques, nos déficits dans un contexte où l’instabilité politique est criante. Le « Maga », Make America Great Again, version Trump-II, menace nos fleurons exportateurs. Une situation économique bien peu dynamique proche de la crise économique en somme.
Emmanuel Macron est conscient de cette situation. Il sait aussi qu’il ne peut rien attendre de concret de la gouvernance Bayrou ; qu’il était urgent qu’il reprenne le gouvernail. La conjoncture économique est mauvaise mais la France dispose d’atouts majeurs. Nous sommes le second exportateur d’armes dans le monde, derrière les États-Unis. Si la demande en armement explose, nous serons l’un des principaux gagnants économiques.
Mieux, si la demande en systèmes de défense en Europe, puis dans le monde, rejette les offres venant des États-Unis, en soulignant le côté versatile du soutien américain envers ses alliés et clients, la part de marché de la France va s’envoler et cela boostera considérablement notre économie et nos recettes budgétaires.
Emmanuel Macron a donc parfaitement raison de profiter de ce contexte pour en tirer profit économiquement. Lui qui rechignait à investir simplement 50 millions d’euros dans une unité de production de munitions à Bourges, il y a à peine quelques mois, veut que les pays Européens investissent des centaines de milliards à présent dans l’armement ! Et il a parfaitement raison économiquement et géopolitiquement.
Par contre, il prend un risque politique et démocratique majeur. En poussant l’Union européenne à s’occuper de la défense, il incite à passer d’une politique de sécurité et de défense commune à une pleine politique de défense commune. Le glissement sémantique est important et il faut relire attentivement l’article 42 du Traité sur l’Union européenne en son point 2 : « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »
Emmanuel Macron préempte cette décision commune, qui ne peut être prise actuellement. Il tente de forcer la main des gouvernements européens, en profitant de la peur que suscitent à la fois la situation en Ukraine et le comportement considéré comme imprévisible des États-Unis. Mais il ne peut imposer cette décision contre les pays et contre leurs citoyens.
Macron ne peut modifier le Traité européen tout seul. Surtout, il ne peut le faire sans que les peuples ne soient consultés. Il ne peut le faire contre les peuples. Faut-il rappeler ici que le Traité européen de 2005, rejeté par le vote des Français et des Néerlandais, imposé par les gouvernants ensuite, a créé les conditions d’une fracture entre les gouvernants et les peuples, pire entre la belle idée européenne et le ressenti par les Européens.
En forçant la main de ses partenaires européens, en profitant de la fenêtre de tir géopolitique pour développer notre économie, Emmanuel Macron prend un risque démocratique fort, comme nos gouvernants l’avaient pris en 2005, après le référendum.
De même, lorsqu’Emmanuel Macron pousse l’Union européenne à s’endetter massivement pour investir dans la défense, il entraîne l’UE au-delà de ses prérogatives. Déjà, lors de la pandémie de la Covid 19, la Commission avait « violé » les traités en recourant à l’emprunt.
La Commission est pleinement dans son droit en décidant de politiques de soutien massif ou de subventions, mais rien dans les traités ne l’autorise à s’endetter. L’UE doit gérer ses finances avec responsabilité, c’est même une obligation mais ce n’est en aucun cas une autorisation à recourir à l’endettement.
L’Union européenne ne peut lever l’impôt, ce sont les États qui lèvent les impôts. Elle ne peut s’endetter car in fine ce sont les États qui devront rembourser.
Bien sûr, les gouvernements français successifs depuis Mitterrand ont été incapables de diminuer la dépense publique, de diminuer le poids de notre dette, de créer des marges de manœuvre suffisantes quand l’économie est florissante, quand nous sommes en haut de cycle, quand les vaches sont grasses, pour dépenser quand les vaches sont maigres, de manière contracyclique, quand la faiblesse économique l’impose.
La France ne peut plus s’endetter plus. Le roi est nu… La note de notre pays n’est plus aussi bonne qu’avant, et si les agences continuent de nous dégrader, nous paierons très cher la gabegie du passé et les « erreurs d’appréciation » sur l’évolution économique de Bruno Le Maire sous la présidence Macron I et II.
Macron III aimerait que l’Union européenne prenne le relais, avec une note accordée par les agences, par construction, meilleure. Mais cela ne change rien, au final, il faudra bien que les Français remboursent ! D’ailleurs on voit dès à présent les taux des emprunts d’État s’envoler. La France emprunte beaucoup plus cher qu’avant dissolution et avant les discours sur le recours massif à l’emprunt pour financer la défense.
Il y aura une facture à payer, par nos impôts, une facture démocratique et politique aussi, car lorsqu’on « viole » les traités, ce sont les nations et les peuples qu’on « viole » aussi. Nos gouvernants pensent peut-être endormir le peuple en endossant les habits de chefs de guerre et en lui faisant peur ; à un moment le peuple se réveille.
Et là, la facture se transformera en fracture, une fracture entre les peuples et leurs gouvernants, une fracture entre l’Union européenne et les Européens…
Une fracture dont ne profiteront que nos ennemis et les extrêmes.