Opinion Outre-Mer
23H12 - dimanche 16 mars 2025

Michelle Maillet : « malgré le sang de la mémoire, Mabrika, Monsieur Manuel Valls ! »

 

Monsieur le ministre Manuel Valls,

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article qui vous a été consacré dans France-Antilles des 14-16 mars 2025. 

Je ne pourrai hélas reprendre tous les points évoqués. 

En effet, dans mon dernier livre paru en 2018, « Le jour où j’ai rencontré Benoît né esclave, devenu Saint, et Michelle Obama, née libre devenue Première Dame des États Unis d’Amérique. Michelle Maillet… », je dis fin du chapitre 28 :

« Il faut ouvrir les portes de la réussite à toutes les communautés vivant sur le sol français.

Les ouvrir, grandes et faire éclater le « plafond de verre », bien décrit par Yamina Benguigui dans le film du même nom. Il faut que les médias reflètent dans leurs interviews et leurs reportages la réalité française dans toutes ses composantes dont celle qui vient de l’Outre-Mer Français.

Il s’agit donc d’un acte et d’un vouloir politiques. Les efforts en ce sens sont trop timides en termes de visibilité. La France est-elle prête à faire ce qu’il faut en mettant en place les structures de réussite pour les minorités visibles venant de l’Outre-Mer ? 

La France est en retard dans ce domaine. »

Pourquoi ?

Elle ne fut pas en retard lorsqu’il fallut envoyer à Verdun les fameux tirailleurs Sénégalais dont 7000 se firent massacrer dès le deuxième jour de la bataille, ils furent considérés comme de la « chair à canon ».

Mandela est parti en nous laissant sa nation « Arc-en-ciel ».

Martin Luther King nous a laissé un rêve, ce rêve est-il devenu réalité ?

Monsieur Manuel Valls, vous êtes le huitième ministre des Outre-mer en quelques années, vous dites : « Je viens poser les bases d’une relation nouvelle fondée sur la considération et la valorisation ».

Comment ?

25 FF 37 fut le matricule de marin d’Etat que mon père n’oublia jamais, monsieur Rémy Edmond engagé volontaire dans la marine Nationale à 20 ans, il ne regretta jamais son choix.

Il fut le jeune marin qui sauva l’or de la France caché aux Antilles françaises, et découvrit en baie de Fort-de-France un sous-marin allemand. Il fut décoré pour ce moment de bravoure croix de guerre et médaille militaire.

Mais depuis, monsieur le ministre, pouvez-vous me dire combien d’amiraux, d’officiers supérieurs Noirs sont dans les corps d’armée prestigieux français : aucun lieutenant, capitaine, commandant, général, aviateur. Idem dans la magistrature.

Tout semble inaccessible.

Je fus aussi l’une des premières présentatrices Noires de télévision en métropole en 1977 sur Antenne 2 devenu France 2 après avoir appartenu en 1973 à l’0RTF en Martinique, véritable parcours du combattant pour devenir journaliste. La première journaliste noire en France fut Audrey Pulvar en 2006 ! 

Je menais une double carrière entre la Martinique et l’hexagone, il n’y avait aucune place à mon époque pour les acteurs ultramarins dans les programmations nationales, les médias et les grands évènements culturels, pas plus qu’aujourd’hui comme vous l’insinuez en fin d’interview !

Je suis aussi celle qui, après de longues recherches, a découvert des Noirs déportés en Allemagne.

Mon livre « L’Etoile Noire », avec une magnifique préface de Simone Veil, traduit en plusieurs langues, considéré par la presse comme un « chef d’œuvre » a remporté un vif succès lors de sa sortie. Il est sans cesse réédité et toujours d’actualité. N’empêche qu’il fut répondu par plusieurs maisons de production cinématographique et chaînes nationales à qui le scénario fut présenté : « les Noirs déportés n’intéressent personne » !

Vous parlez de ZION, du dernier biopic de Fanon qui sortira prochainement en salle. L’association « Tous créoles » y travaille beaucoup. Alors pourquoi pas « L’Etoile Noire » avec votre aide ?

Mourir déportés pour la France compte si peu ?

Pourquoi ne pas faire entrer au Panthéon deux martiniquais qui sont morts en héros comme la capitaine Pierre Rose dirigeant le maquis « Fort de France » dans le Vercors, assassiné par les allemands, et monsieur Raphaël Elizé, premier maire Noir de France, mort en camp de concentration deux jours avant la Libération.Si Robert Badinter a mérité, eux aussi !

Oui, il faut relancer le mécénat culturel pour soutenir les artistes, les écrivains. Presqu’aucune œuvre d’écrivains antillais n’est portée à l’écran, il n’y a aucune structure adaptée. Oui il faut développer les résidences d’artistes, les échanges entre territoire et l’hexagone, créer des maisons de l’Outre- mer partout dans chaque grande métropole française.

Il y a une chose dont vous n’avez pas parlé qui est un énorme problème aux Antilles : l’indivision. Un fléau qui fait des ravages tant pour ceux qui vivent l’indivision que pour ceux qui subissent celle des autres.

En effet, les terres vides sont perdues (pas pour ceux qui les volent), pas entretenues, maisons à l’abandon pleines de poux bois, toutes sortes d’arbres aux racines dangereuses, comme celles du flamboyant qui s’attaquent aux fondations des propriétés mitoyennes, toutes sortes de VHU, d’encombrants sont déposés et le voisinage est en permanence malade par la dengue ou le chikungunia, des rats plus gros que des chats jonglent avec les manicous, et les chiens s’en donnent à cœur joie sans compter le ballet de tondeuses à gazon sans silencieux !Le maire se lave les mains avec cette phrase « Terrain privé » et les propriétaires sont introuvables, insolvables ou décédés.

C’est une vraie calamité, d’autant que l’ile est belle mais deviendra de plus en plus fragile suite aux changements climatiques annoncés face aux violents ouragans qui feront tomber chez nous ces arbres à l’abandon.

Après quarante ans de vie passée à Paris, le Covid m’a fait revenir définitivement au pays en 2020 et  cette île que j’aime par-dessus  tout vous dit « Mabrika » en langue amérindienne, encore parlée par mon arrière-grand-mère, et qui veut dire :

Bienvenue !

 

Michelle Maillet

Ecrivaine, ancienne présentatrice de la télévision française

Le 16 mars 2025