Opinion Internationale : Monsieur le ministre, vous terminez cinq jours de visite aux Antilles qui vous ont emmené de Saint-Martin à Saint Barth, à la Guadeloupe et pour finir en Martinique. Quel bilan politique tirez-vous de votre voyage ?
Manuel Valls : C’est aux acteurs politiques de le dire. J’avais placé ce déplacement sous le signe du dialogue politique, au sens le plus noble du terme, car je veux renouer la confiance entre l’Hexagone et ses territoires. Il y a beaucoup de travail à accomplir, et ce ne sont pas les discours qui comptent, mais les actes.
Le seul sentiment que j’exprime avec modestie, c’est que les acteurs politiques, économiques et la population – même si je ne parlerai pas en son nom – peuvent constater qu’il y a un ministre déterminé, qui veut avancer, notamment sur les questions de la vie chère, et qui pose des actes concrets.
Je comprends la méfiance et le scepticisme, mais je veux avancer.
Et le fait d’avoir renoué le dialogue politique en Nouvelle-Calédonie il y a quinze jours, même si nous sommes encore loin du but, a des effets que l’on ressent aussi à La Réunion, à Mayotte et ici aux Antilles. Cela signifie qu’un dialogue constructif engagé quelque part peut inspirer d’autres territoires. Il faut relier les mots aux actes, mais il reste encore beaucoup à faire.
L’acte le plus fort de votre visite aux Antilles a été votre rencontre avec le RPPRAC. Se faisant, n’avez-vous pas, surtout lorsqu’on lit leur communiqué de presse de ce matin par lequel ils saluent vos annonces, légitimé, transformé un mouvement ultra-violent en parti politique. Et ce, alors même que la plupart de leurs dirigeants sont poursuivis par la justice (même s’il faut respecter la présomption d’innocence) et qu’ils étaient en perte de vitesse ? Ne les avez-vous pas intronisés politiquement ?
Ce n’est pas l’acte le plus fort de mon déplacement, qui a débuté vendredi à Saint-Martin et se termine ce soir. Il y a eu de nombreux moments forts : les rencontres avec des centaines de personnes à Sainte-Rose en Guadeloupe, et surtout mon discours sur la vie chère à la préfecture de Fort-de-France.
Moi je veux dialoguer avec tout le monde et rencontrer tout le monde, à condition que ce dialogue soit cohérent avec ce que je dis en public comme en privé. Ma rencontre avec le RPPRAC s’inscrit dans cette volonté. J’ai d’ailleurs tenu à remercier les députés et les élus qui ont été à l’initiative de cette rencontre.
Cela ne signifie pas que j’ignore les parcours de certains membres du RPPRAC. Je le leur ai dit : j’ai clairement condamné auprès d’eux la violence, qu’elle vise les biens, les personnes, les forces de l’ordre ou les élus. Je n’ai évidemment pas rencontré leur président Rodrigue Petitot qui porte un bracelet électronique.
Mais je suis à l’écoute des mouvements sociaux, car ils expriment parfois un malaise réel dans la société. Ce n’est évidemment pas la même chose mais c’est un peu ce que nous avons vu avec les Gilets jaunes, qui, malgré des débordements, ont mis en lumière des revendications légitimes. Je crois en la démocratie sociale, représentative, aux élus et aux syndicats. Mais établir un dialogue, c’est aussi fixer des principes clairs : le respect des lois de la République et des règles démocratiques.
Votre grande affaire aux Antilles, c’est donc votre annonce d’un projet de loi sur la vie chère. Votre projet, dont vous avez dressé dans votre discours de Fort-de-France les grandes lignes, est perçu comme très dirigiste, voire socialiste d’inspiration. Face à la composition actuelle de l’Assemblée nationale, du Sénat et du gouvernement autour de François Bayrou, ne risquez-vous pas d’avoir du mal à faire passer un tel projet ?
Permettez-moi de vous faire remarquer que les propositions de loi bolcheviques Bellay et Lurel sont passées à l’Assemblée et au Sénat, avec le soutien du gouvernement, même s’il y a eu évidemment des nuances.
Je vais vous dire : je suis un républicain, je crois beaucoup à l’entreprise, je crois au marché, je crois à la régulation aussi. Si on ne comprend pas qu’il y a quelque chose qui ne va pas autour de la question de la vie chère, des inégalités, de la pauvreté, si on n’offre pas une solution qui soit intelligente et qui soit issue d’un pacte avec le monde économique et social et avec les élus, ça nous explosera, pardon, à la figure. Cela, je ne peux pas l’admettre.
Ce qui s’est passé au mois de septembre – octobre a recueilli à la fois une indignation à cause de la violence mais aussi une sympathie par rapport aux revendications qui étaient portées. Cela ne veut pas dire que ces mouvements ont l’accord des Martiniquais comme cela s’est vu aux élections.
Les solutions que nous proposons ne sont en aucun cas dirigistes. Ces entreprises qui sont contre la concurrence et qui demandent de l’argent à l’État, c’est quand même pas très libéral ! Moi je suis un vrai social-libéral, je crois à la concurrence, je crois à la liberté, je crois au contrôle, je crois à la transparence et c’est ce que portera le projet de loi.
Vous savez, j’ai rencontré en tête à tête un certain nombre de dirigeants, y compris des grands groupes. J’ai tenu à tous le même discours : il faut de la concurrence et de la transparence pour transformer l’économie martiniquaise, la sortir de l’économie de comptoir et pour créer du pouvoir d’achat.
Enfin, ce matin j’ai rencontré les acteurs économiques de la Martinique et je leur ai tenu un discours de vérité : c’est aux Martiniquais de bâtir leur projet de développement. Je ne le ferai pas à leur place, ni moi ni l’État ni le gouvernement. Nous pouvons les aider mais c’est aux Antillais de construire cet avenir pour la jeunesse dont on a beaucoup parlé pendant ces cinq jours.