La France entière s’émeut, s’interroge, frémit. Le drame du petit Émile, disparu à l’âge de deux ans et demi dans le hameau du Haut-Vernet, a bouleversé le pays. Et voilà qu’un an et demi après, la garde à vue des grands-parents maternels et de deux membres de la famille rouvre une plaie encore vive. Ce que l’on croyait être un terrible accident prend, peut-être, une tournure bien plus sinistre. Impossible, bien sûr, de préjuger du résultat de l’enquête. Mais l’onde de choc est déjà là.
Et ce choc a un précédent. Trente-neuf ans plus tôt, un autre village, une autre vallée, un autre enfant : Grégory Villemin, retrouvé pieds et poings liés dans une rivière des Vosges. Depuis 1984, l’affaire Grégory hante la mémoire collective. Pas seulement parce qu’elle reste irrésolue, mais parce qu’elle incarne un basculement. Un fait divers devenu affaire d’État, affaire de société, révélateur de tensions sociales, de fractures familiales, de dérives judiciaires et médiatiques.
Émile, à sa manière, réveille le souvenir brûlant de l’affaire Grégory.
Ces faits divers ne sont pas que des faits divers. Ils sont des miroirs. Des révélateurs. Ils disent quelque chose de notre société : son besoin de comprendre l’inexplicable, son obsession pour l’innocence violée, sa fascination morbide pour les tragédies intimes. Ils soulèvent aussi une angoisse sourde : celle d’un mal qui surgirait de l’intérieur même du cercle familial. Car que l’auteur soit un parent, un proche, un voisin ou un inconnu — ou même si nous ne le connaîtrons jamais — c’est l’idée d’une confiance brisée, d’un refuge devenu piège, qui trouble profondément notre conscience collective.
Il faut comprendre l’émotion, mais refuser la surenchère. L’emballement médiatique, la course au scoop, les plateaux de télévision transformés en prétoires parallèles : tout cela blesse davantage qu’il n’informe. Les enquêteurs doivent travailler dans la sérénité, les magistrats dans la discrétion, les journalistes dans la décence. La dignité d’Émile, la douleur de ses proches, la paix de cette petite vallée de France en dépendent.
Le Haut-Vernet n’est pas un théâtre. C’est un village blessé, peuplé de familles qui n’ont rien demandé, et qui, depuis un an et demi, vivent sous le poids du soupçon et des regards. Dans ce genre d’affaire, la vérité met du temps. Elle se cherche à bas bruit, dans les détails, les incohérences, les silences. Elle ne se décrète pas en direct à 20h.
L’affaire Émile, comme celle de Grégory avant elle, nous rappelle que la barbarie ne se niche pas toujours dans les cités violentes, les banlieues désœuvrées ou les cercles extrémistes. Parfois, c’est au cœur des Alpes paisibles, dans une maison de famille, qu’elle frappe, comme ce fut le cas dans la vallée de la Vologne au cœur des Vosges. C’est ce vertige qui nous saisit. Et c’est pour cela, aussi, que ces drames nous concernent tous.
Alors oui, la justice doit aller jusqu’au bout. Mais dans le respect du droit, dans le silence du doute, et dans l’humilité face à ce que nous ne comprenons pas encore. Émile mérite la vérité. Mais il mérite aussi le silence des hommes quand la douleur devient trop forte pour être commentée.