Edito
16H42 - dimanche 30 mars 2025

La (re)découverte de Niko Pirosmani : une leçon pour le marché de l’art ?

 

Lors de TEFAF Maastricht 2025 (The European Fine Art Fair, l’un des plus importants salons mondiaux dédiés à l’art qui réunit chaque année plusieurs centaines de galeries prestigieuses), qui s’est tenu du 15 au 20 mars 2025, les experts se sont penchés, une fois de plus sur la baisse de la cote des anciens maîtres, une tendance qui inquiète le monde de l’art depuis plusieurs années. Alors que la demande pour les œuvres de Rembrandt, Rubens ou Titien stagne, l’intérêt pour l’art moderne et contemporain ne cesse de croître.

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : l’évolution des « nouvelles habitudes » des collectionneurs, la relative difficulté d’approcher les grands maîtres, les sujets parfois trop académiques et dépourvus d’émotion qu’ils traitaient, le peu de place laissé à l’enseignement de l’histoire de l’art, le caractère hautement spéculatif de l’art contemporain et, évidemment, la raréfaction d’œuvres de haute qualité sur le marché.  

Rien n’est perdu, toutefois, mais relancer ce marché nécessite une démarche volontariste et courageuse des musées, galeries et mécènes.  

Ainsi, la redécouverte de Niko Pirosmani (1862-1918), un peintre géorgien trop longtemps méconnu, prouve que le marché de l’art reste, pourtant, capable de s’adapter.

 

On a souvent comparé Pirosmani à Vincent van Gogh : durant l’essentiel de sa vie, ce fils de petits viticulteurs vécut dans le dénuement, subsistant grâce à de petits métiers et consacrant le temps qui lui restait à son art avant de mourir, à 56 ans, lors de la grande épidémie de grippe de 1918. Et comme van Gogh, Pirosmani était un autodidacte, venu à la peinture parce qu’il ressentait profondément la nécessité vitale de témoigner de son époque et de transmettre ses émotions.

Sa reconnaissance fut posthume, mais le fait d’être considéré comme un peintre naïf  limita son audience et il fallut attendre 1969 pour qu’il soit exposé à Paris (au Louvre) et à Vienne. En 1983, Eduard Kuznetsov consacra un catalogue raisonné à son œuvre (environ 200 de ses toiles sont parvenues jusqu’à nous) et il fut dès lors accroché dans des expositions à Tokyo ou Zurich. 

En 2019, pour son retour dans la capitale autrichienne, l’exposition Pirosmani Le vagabond entre les mondes créa un véritable engouement, attirant plus de 415 000 visiteurs à l’Albertina, l’un des principaux musées de Vienne. Classée parmi les dix expositions d’art post-impressionniste et moderne les plus fréquentées de l’année, aux côtés de Van Gogh, Klimt et Munch, elle illustrait le pouvoir de résonance intemporelle de certaines œuvres.

 

D’un artiste oublié à une icône du marché de l’art

Longtemps perçu comme un simple outsider provincial, Pirosmani a été redécouvert grâce à cette rétrospective qui a su toucher un large public. Son style, à la fois naïf et expressif, se distingue par son authenticité. Peignant sur des toiles huilées rudimentaires, il représentait des scènes de la vie quotidienne : animaux, tavernes, fêtes populaires et figures anonymes. Autrefois jugés primitifs, ses tableaux sont désormais reconnus comme des expressions d’une vérité artistique profonde. Ils offrent aussi un témoignage de première main sur la vie simple des campagnes géorgiennes au tournant des 19ème et 20ème siècles. Et c’est cela que cette peinture nous « parle ».

 

Quelles leçons pour les Anciens Maîtres ?

Le marché des Anciens Maîtres repose de plus en plus sur des mécanismes financiers qui compliquent l’adhésion de nouveaux collectionneurs. Comment ces œuvres peuvent-elles retrouver un attrait auprès d’un public plus habitué aux codes de l’art contemporain ? L’exemple de Pirosmani offre trois pistes de réflexion :

  • Forger un nouveau récit : Pirosmani a été réintroduit au public non seulement comme un artiste à part entière, un grand peintre témoin de son époque, mais comme un personnage mythique, un vagabond entre les mondes. De la même manière, les Anciens Maîtres pourraient bénéficier d’une narration renouvelée, allant au-delà de la simple analyse historique pour captiver l’imagination contemporaine.
  • Redéfinir la valeur au-delà du marché : Si le marché des Anciens Maîtres dépend de plus en plus des records aux enchères, le succès de Pirosmani prouve que l’art peut être plébiscité sans spéculation financière. Son regain d’intérêt repose avant tout sur une connexion émotionnelle et esthétique avec le public.
  • Miser sur l’accessibilité : Les œuvres de Pirosmani sont « simples », immédiatement compréhensibles et ne nécessitent pas de connaissances préalables en histoire de l’art. Les Anciens Maîtres pourraient eux aussi (re)gagner en visibilité en mettant en avant les thèmes universels qui les habitent et en adaptant leur présentation aux attentes actuelles.

  

De la périphérie à la reconnaissance internationale

L’exposition Pirosmani a poursuivi son itinéraire en 2018 à Arles, en France, où elle a été présentée aux côtés des œuvres de Van Gogh. Cette association a définitivement ancré Pirosmani parmi les figures majeures de l’art moderne. Face à son succès retentissant, l’exposition a été prolongée de plusieurs mois, une décision exceptionnelle rendue possible grâce au soutien actif de la TS Foundation, une organisation géorgienne engagée dans la promotion de l’art et du dialogue interculturel. Une intervention qui souligne, s’il le fallait, l’importance du mécénat éclairé et désintéressé dans la promotion de l’art.  

Tamaz Somkhishvili, fondateur de la TS Foundation, est un citoyen britannique d’origine géorgienne. Il est reconnu, au plan international, tant pour son action humanitaire que son engagement en faveur du dialogue entre les cultures. À travers ses nombreux projets, il apporte une aide précieuse aux enfants et aux familles en situation de précarité morale ou sociale. Son engagement s’étend également aux soins palliatifs pédiatriques, où il œuvre pour redonner espoir aux plus vulnérables. Pour lui, l’art ne se limite pas à un simple patrimoine culturel : il est une responsabilité sociale fondamentale et une porte d’accès à l’essence même de l’humanité.

L’exposition Pirosmani Vagabond entre les mondes s’inscrit parfaitement dans cette vision. Somkhishvili perçoit l’œuvre de Pirosmani non seulement comme la redécouverte d’un génie oublié, mais aussi comme un message universel : une démonstration du pouvoir de l’art à transcender les frontières et à rapprocher les peuples et les cultures. 

Une citation de Niko Pirosmani, datée de 1916 et souvent citée par Somkhishvili, résume parfaitement cette perspective : « Le monde devrait être un foyer pour l’âme, et l’art une table où toutes les nations, langues, religions et perspectives se rassemblent – pour réfléchir, discuter et créer de nouvelles choses ».

 

Redonner vie aux Anciens Maîtres

Le parcours posthume de Pirosmani prouve que l’art doit, avant tout, être capable d’émouvoir, de surprendre et de tisser un lien authentique avec le public.

Plutôt que de s’appuyer uniquement sur la provenance et les tendances du marché, les Anciens Maîtres pourraient bénéficier d’une semblable relecture contemporaine qui leur redonnerait sens et pertinence.

 Autrefois oublié, Pirosmani incarne la capacité du passé à renaître et à résonner avec le présent, parce que si le monde évolue (et aujourd’hui, il le fait à une vitesse prodigieuse), l’être humain, lui, ne change pas et ses aspirations, peurs et bonheurs restent, fondamentalement, les mêmes à travers les siècles.

 Son histoire rappelle que l’art, quelle que soit son époque, peut toucher les cœurs et traverser les siècles avec force et modernité.

 

Hugues Krasner

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