Edito
10H04 - lundi 7 avril 2025

Aliou Bah, l’étoile montante de la Guinée – La chronique de Gilles Verdez

 

 

Emprisonné pour « offense au chef de l’Etat », Aliou Bah, 41 ans, émerge comme le potentiel leader de l’opposition à la Junte. 

Aliou Bah, l’étoile montante de la Guinée

Aliou Bah, l’étoile montante de la Guinée

L’Histoire ne se répète pas, mais elle balbutie parfois. En Guinée, le principal opposant à la Junte dirigée par Mamadi Doumbouya, purge actuellement une peine de deux ans de prison pour « offense et diffamation contre le chef de l’Etat par le biais d’un système informatique ». Aliou Bah dirige le Mouvement Démocratique Libéral (MoDel). Il a été arrêté en décembre dernier à la frontière avec la Sierra-Leone, puis placé sous mandat de dépôt à la « maison centrale » de Conakry. Son cas rappelle furieusement l’exemple d’Ousmane Sonko, qui a été condamné au Sénégal à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » et est aujourd’hui Premier ministre, porté par l’enthousiasme d’une jeunesse triomphante. Non seulement sa condamnation ne l’avait pas affaiblie, mais le sentiment, partagé dans une grande partie de l’opinion, d’un acharnement à son encontre avait renforcé son camp. Et avait propulsé les siens au pouvoir malgré sa propre inéligibilité. Le camp de Macky Sall avait été balayé et Bassirou Diomaye Faye élu.

La Guinée n’est pas le Sénégal, mais l’odyssée politique et personnelle d’Aliou Bah évoque forcément celle d’Ousmane Sonko. Malgré elle, la Junte est en train de promouvoir Aliou Bah comme héros de la résistance. Faisant fi des approches du pouvoir qui tente de l’enrôler pour le contrôler, il refuse toute compromission. L’un de ses partisans expliquait récemment dans un podcast qu’il « ne vend pas sa dignité ». Pas question pour lui d’accepter un poste ministériel, au risque de perdre sa liberté d’expression et sa capacité mobilisatrice.

L’attitude inflexible du régime risque de provoquer un effet boomerang. D’abord, elle accrédite l’idée, partagée par la communauté internationale, de l’absence de volonté de la Junte d’organiser le fameux retour à l’ordre constitutionnel. Il n’est toujours pas à l’ordre du jour. Les militaires, qui ont renversé Alpha Condé en 2021, se sont structurés au sein du « Comité national du rassemblement pour le développement » et n’entendent pas s’effacer au bénéfice des civils. Mais ils ont érigé Aliou Bah en opposant crédible. Peut-il fédérer l’opposition, malgré les egos de certains de ses rivaux, réunir autour de lui les « Forces Vives », regroupement hétérogène ? Paradoxalement, sa condamnation ne le réduit pas au silence, bien au contraire, mais lui confère une caisse de résonnance indéniable. Elle le renforce dans sa détermination et sa crédibilité. Si la junte l’a incarcéré, c’est qu’elle le craint et voit peut-être en lui un nouvel Ousmane Sonko…

 

LA TRANSITION SE PROLONGE

 

Pour le moment, Aliou Bah reste incarcéré. Le général Doumbouya refuse d’écouter le mécontentement populaire croissant dans le pays. Au contraire, il impose au pays une véritable chape de plomb. Tout en suivant son propre calendrier politique, à l’opposé de ses engagements liminaires. Lorsqu’il renverse le président Alpha Condé, le 5 septembre 2021, ce militaire devenu colonel, chef des forces spéciales, prend le « leadership » du « Comité national du rassemblement pour le développement ». Il le préside, tout comme il préside la « Transition ». Le couvre-feu est décrété, Alpha Condé arrêté. Doumbouya dénonce le « dysfonctionnement des institutions ». Il promet de quitter le pouvoir fin 2024, promesse non tenue. Doumbouya devient même président de la République… sans la moindre élection. Sur le plan militaire, le colonel est promu général de corps d’armée. Il renforce son autorité. 

Le général Doumbouya dirige le pays et ses quinze millions d’habitants en peaufinant une stratégie de morcellement, de parcellisation, de l’opposition. Des partis se créent sous forme de coquilles vides, d’autres sont dissous : cinquante en octobre dernier pour « non-conformité », auxquels il faut ajouter cinquante autres suspendus. Deuxième lame à la mi-mars : vingt-huit partis suspendus pour trois mois afin… d’assainir l’espace politique guinéen. Parmi eux, le RPG, parti d’Alpha Condé, l’UFR, de l’ancien Premier ministre Sidya Touré, tous deux en exil mais encore influents. Selon les autorités, ils n’ont pas été assez rigoureux en matière de documents bancaires transmis à l’administration territoriale. La mécanique est implacable. 

Le parti UFDG, dirigé par Cellou Dalein Diallo, lui aussi ex-Premier ministre et ex-candidat à la Présidentielle, est en revanche autorisé s’il organise un congrès dans les deux prochains mois. Une date est trouvée : le 19 avril. Mais le congrès est ajourné, car la Justice affirme être en possession de plaintes d’adhérents liées à des querelles intestines. « Je suis un peu déçu, mais quand même plus ou moins satisfait du résultat, affirme à RFI Joachim Baba Millimouno, en charge de la communication de l’UFDG. C’est aussi inquiétant, car cela pourrait s’apparenter à un processus d’épuration masquée de la classe politique. » L’UFDG sauvée ? Pas vraiment. Son leader, qui incarnait malgré ses 73 ans une possible solution de recours post-Junte, subit les foudres du pouvoir. Cellou Dalein Diallo est convoqué par le CRIEF, la Cour de répression des infractions économiques et financières, créée en 2021, en vue d’une inculpation. Les infractions reprochées à l’homme politique sont nombreuses et conséquentes : corruption, détournement de deniers publics, blanchiment de capitaux et enrichissement. L’affaire concerne la vente de la compagnie Air Guinée. Cellou Dalein Diallo se défend, mais une fine observatrice de la vie politique guinéenne tire des conclusions à sa place ; « A son âge, lui qui est en exil ne va pas prendre le risque de revenir. Il sait qu’il risque de finir sa vie en prison en Guinée. Ce qui le met hors-jeu pour d’éventuelles élections… »

Dans ce contexte éruptif, la condamnation à une peine de deux ans de prison d’Aliou Bah crée un électrochoc. Elle n’altère pas du tout la détermination du consultant et enseignant. Après l’appel interjeté par ses avocats, il est rejugé mercredi 26 mars.

Lors de cette audience à Conakry, des représentants de plusieurs chancelleries, dont la France et les Etats-Unis, font acte de présence. Cela traduit bien entendu leur volonté de faire respecter les Droits de l’Homme. Mais ils savent aussi que la carte Aliou Ba peut être maîtresse. Et que le chef de la Junte ne cesse de se rapprocher de la Chine, ce qui témoigne de leur propre perte d’influence auprès des dirigeants guinéens.

Le jour du procès, alors qu’Aliou Bah arrive sous escorte, ses partisans le soutiennent bruyamment avant son entrée dans la cour d’appel bondée de Conakry. L’audience est très technique. Les avocats de la défense et le parquet bataillent sur des questions de procédure, les conseils d’Aliou Bah cherchant à savoir si le chef de l’Etat est réellement partie civile. Ils sollicitent la remise en liberté de leur client. Devant la juge Hadja Fatou Bangoura, parfois mise en difficulté, Aliou Bah martèle sa vérité en plaidant non-coupable : « Je ne me reproche rien. Il n’y a aucune preuve qui dit que j’ai diffamé qui que ce soit. » Il s’adresse directement à la juge : « Je pense que vous rétablirez mes droits en me rendant ma liberté. » Le média guineematin.com restitue sa prise de parole : « Je suis un acteur politique, un père de famille, un travailleur qui n’a jamais comparu devant une juridiction pour une quelconque infraction, encore moins pour un crime (…). Les critiques que je formule sont des critiques qui sont adossées à la loi. Et c’est pourquoi la formation politique que je dirige aujourd’hui est en train de se positionner comme étant l’une des alternatives les plus crédibles pour gouverner ce pays. » L’affaire est finalement renvoyée au 9 avril. Au grand dam du parti du leader emprisonné qui dénonce une « manœuvre dilatoire inacceptable », un « abus de pouvoir » privant le ténor politique de ses droits légitimes. 

Fort d’un soutien croissant, Aliou Bah se dévoile. Dans son livre « Agir pour la Guinée », il livre quelques grandes orientations en guise de programme : fin de la concentration des pouvoirs dans les mains d’un leader devenu un Homme-Etat (une tradition depuis Ahmed Sékou-Touré) ; établissement d’un processus électoral viable, priorité donnée à l’éducation, travail sur la question mémorielle ; méfiance affichée au sujet des discours connotés sur le plan ethnique. Un corpus idéologique au service non pas d’une ambition, mais d’une mission.  

 

Gilles Verdez,

Journaliste et Chroniqueur