Donald Trump avait promis, avec sa désinvolture habituelle, qu’il mettrait fin à la guerre d’Ukraine en une journée. Un vœu pieux. Une illusion. Car la réalité géopolitique, militaire et humaine de ce conflit est d’une complexité vertigineuse.
Pendant que le monde se déchire dans une guerre commerciale farouche, la guerre déclenchée par la Russie en 2022 est entrée dans une nouvelle phase, celle d’un chantage permanent à des cessez-le-feu partiels. Il est à craindre que sa conclusion ne viendra ni par la magie d’un tweet, ni par un marchandage de couloir entre grandes puissances. Cette guerre risque de durer. Longtemps. Très longtemps.
Fin mars, Paris accueillait un sommet crucial pour l’Ukraine. Autour de la table, les représentants de près de 30 pays formèrent la « coalition des volontaires », unie pour renforcer les capacités de résistance de Kiev. Emmanuel Macron a annoncé une nouvelle aide militaire de deux milliards d’euros : missiles, avions de combat, équipements de défense aérienne. L’objectif affiché est clair : tenir. Tenir militairement, politiquement, symboliquement. Car il ne s’agit plus seulement de défendre l’Ukraine, mais de préserver un ordre international fondé sur le droit, la souveraineté et la liberté.
Sur le front de l’est, la percée de l’armée russe en mars a été endiguée et les positions de tranchées retrouvent leur diktat.
Certes, des signes d’apaisement existent. Des pourparlers sont en cours. Un accord partiel sur un cessez-le-feu en mer Noire a même été conclu, afin de protéger les infrastructures énergétiques et les corridors de transport. Mais ces avancées restent fragiles, conditionnées aux exigences de Moscou, notamment sur la levée de sanctions. Et sur le terrain, les violations se poursuivent. La guerre s’enlise, mais elle ne faiblit pas.
Ce que le président Trump, et d’autres avec lui, semblent sous-estimer, c’est que cette guerre n’est pas un simple bras de fer entre puissances. Ce n’est pas une négociation commerciale à l’échelle planétaire. C’est un conflit existentiel. Une guerre entre frères ennemis, où la haine réciproque a été ravivée, intensifiée, sanctuarisée. Des familles, des peuples, des communautés se déchirent. Et les cicatrices sont profondes.
En Estonie, le Parlement vient de voter une loi restreignant l’accès au droit de vote aux élections municipales pour les résidents non européens, une mesure qui vise principalement la communauté russophone. C’est une conséquence directe de la guerre : la peur, la méfiance, la fracture. L’équilibre de la terreur n’est plus seulement une question stratégique entre Washington et Moscou. Il est désormais ressenti à Tallinn, à Riga, à Vilnius, à Helsinki, à Stockholm. Toute la façade est de l’Europe vit sous la menace de Vladimir Poutine, prêt à souffler sur les braises pour diviser, pour déstabiliser, pour venger.
La seule issue rapide à ce conflit serait un effondrement militaire de l’Ukraine, précipité par un retrait massif du soutien américain. Ce scénario, aussi plausible soit-il, serait une tragédie géopolitique majeure. Il ouvrirait la voie à une domination russe durable, à la perte de crédibilité de l’Occident, à la dislocation du rêve européen. Les états-majors européens y pensent. Ils s’y préparent. Mais ils ne l’espèrent pas.
Ce qui se profile, en vérité, c’est une guerre froide nouvelle génération. Une phase de négociations longues, de rapports de force, de bluff, de chantage, de petits accords tactiques. Une sortie de guerre à la fois diplomatique et psychologique, où chacun essaiera de sauver la face. Mais où personne ne gagnera vraiment.
Les démocraties européennes doivent s’y préparer : diplomatiquement, militairement, moralement. Elles doivent s’unir, tenir bon, et ne jamais perdre de vue l’essentiel : l’Ukraine ne se bat pas seulement pour son territoire. Elle se bat pour notre liberté.
Michel Taube