La chronique de Patrick Pilcer
12H46 - lundi 7 avril 2025

Trump, les droits de douane et la souveraineté économique : remettons les curseurs de la mondialisation à leur juste place. La chronique de Patrick Pilcer

 

Le 2 avril dernier, Donald Trump a maintenu le rythme qu’il impose à la Maison-Blanche depuis 75 jours, et a une fois de plus frappé fort : hausse massive des droits de douane pour les pays qui ont un excédent commercial fort avec les Etats-Unis et retour en force de la rhétorique protectionniste. Les milieux économiques s’étranglent, les commentateurs s’indignent, les Européens s’inquiètent, les Bourses vacillent.

Mais au fond, le « trumpisme économique » n’est-il pas l’expression brutale d’un réflexe que nous partageons de plus en plus en France et en Europe ?  Poser la question, c’est déjà admettre que la souveraineté économique est redevenue centrale, à droite comme à gauche, chez les libéraux comme chez les colbertistes. Nous savons que nous devons déplacer les curseurs de la mondialisation, et que nous avions été trop loin.

 

Droits de douane…reconquête industrielle ?

Trump justifie ses barrières douanières par le déséquilibre commercial abyssal des États-Unis avec la Chine, et l’Asie, mais aussi par la volonté de relocaliser l’emploi industriel. Ce discours, moqué par nos « sachants », est devenu pourtant consensuel. Même Joe Biden a maintenu une bonne partie des mesures tarifaires de son prédécesseur prises lors de son premier mandat. Il ne s’agit pas d’idéologie, mais d’un rapport de force stratégique.

Et nous ? Emmanuel Macron n’emploie pas les mêmes mots, mais le Fonds de souveraineté, le « produire en France », la réindustrialisation, les plans France 2030, tous traduisent le même virage. Moins brutal, plus technocratique, moins efficace, mais tout aussi clair : la mondialisation sans limites est révolue. La crise de la COVID, la guerre en Ukraine, les tensions sur les matières premières et les batteries ont tout changé.

Quelle logique nous avait-elle donc poussé à dépendre de la Chine pour nos masques comme pour les principes actifs de nos médicaments ? Quelle logique nous avait poussé à délocaliser nos usines de fabrication de voitures en Roumanie par exemple, nos ateliers de couture en Turquie ou au Bangladesh, en fermant celles en France, pour importer voitures, costumes et robes ensuite en France et les vendre aux ouvriers licenciés de ces mêmes usines, qu’ils paient difficilement avec leurs allocations chômage et allocations sociales ? des ouvriers qui par dépit votent ensuite LFI ou RN !

Plutôt que recommander à nos chefs d’entreprise de ne plus investir aux Etats-Unis, Macron aurait plutôt dû répondre par une politique industrielle avec des baisses de charges sur le travail, exonération de CSG et CRDS sur les retraites et salaires et hausse de la TVA ! Les patrons de L’Oréal, LVMH, Stellantis, Cap Gemini etc… savent « un peu » mieux que lui ce qui est important pour leurs entreprises… Ils n’ont pas besoin de Macron pour cela, et au vu de l’état de nos finances publiques, heureusement.

Exonérer de CSG et CRDS, baisser le coût du travail tout en augmentant la TVA, cela revient à favoriser la production en France, à redonner du pouvoir d’achat à la France qui travaille, aux dépens des importations.

Plutôt que de trouver là un prétexte à maintenir des déficits publics abyssaux, le Ministre de l’Economie aurait pu dégager des marges de manœuvre pour diminuer le coût de fonctionnement de l’Etat et faire la chasse au gaspillage !

 

Une politique protectionniste…ou une réponse ?

On reproche à Trump son unilatéralisme. Mais, en jouant la carte du libre-échange, l’Europe n’a-t-elle pas été naïve, depuis trente ans, en oubliant que ses partenaires, eux, ne l’étaient pas ? La Chine subventionne massivement ses filières stratégiques. Les États-Unis pratiquent le « Buy American Act ». L’Inde protège son marché numérique.

L’Europe, elle, a longtemps renoncé à toute forme de défense commerciale, au nom d’un dogme juridique et d’une religion du marché parfait. Les industries textiles, électroniques, photovoltaïques, et bien sûr aujourd’hui l’automobile, en ont fait les frais.

Trump, lui, ne s’embarrasse pas de formalisme : il est a-dogmatique, pragmatique et défend ses intérêts avec des outils radicaux. Et même si cela nous heurte, ne ferions-nous pas de même à sa place ? Ne faisons-nous pas pareil sous une forme différente ? Subventionner STMicroelectronics, protéger Naval Group, filtrer les investissements étrangers, réarmer les stocks stratégiques : tout cela ne dit qu’une chose – la souveraineté économique est devenue une priorité.

 

Un protectionnisme intelligent est-il possible ?

Il faut sortir du réflexe pavlovien : le protectionnisme n’est pas en soi une hérésie. Il peut être une stratégie de transition, de redéploiement, de résistance à la concurrence déloyale. Ce qui compte, c’est sa cohérence.

Trump frappe fort, mais il frappe là où l’Amérique a le plus perdu. Nous devrions peut-être l’écouter, non pas pour copier, mais pour réfléchir à notre propre modèle. La France ne pourra pas survivre dans une économie mondialisée si elle laisse ses filières stratégiques être laminées par les prix chinois, les normes environnementales détournées ou les aides d’État étrangères.

 

Une Europe en retard d’un cycle ?

Là où Trump — et les États-Unis en général — ont une longueur d’avance, c’est sur la cohérence de la puissance. Ils construisent une stratégie industrielle, énergétique, commerciale et militaire autour d’un seul mot : intérêt national.
L’Europe, elle, reste bloquée dans une logique de compromis permanent, de normes sans leviers, de déclarations sans outils, de bureaucratie sclérosante. La France tente d’en sortir, mais elle reste prisonnière d’un cadre communautaire bien trop dogmatique.

Et si, finalement, la brutalité de Trump révélait la mollesse européenne ?

 

Moins de posture, plus de stratégie

On peut critiquer la méthode Trump. On peut et on doit s’opposer à la simplification brutale des rapports commerciaux. Mais il faut aussi regarder la réalité en face : il n’a peut-être pas tort sur le fond.

Protéger ce qu’on produit, sécuriser ce dont on dépend, relocaliser ce qui compte, c’est désormais une question de souveraineté, pas de marketing politique.

La France tente, à sa manière, d’aller dans cette direction. C’est tout l’enjeu de la politique de Souveraineté Economique et de Réarmement industriel. Mais il faut changer de braquet. Le Ministre de l’Economie a raison de vouloir faire investir les Français dans la Défense, mais il manque carrément d’ambition, ce n’est pas 450M mais 10 à 20 milliards qu’il faut investir. 

La vraie question n’est plus « Faut-il faire comme Trump ? », mais : « Sommes-nous prêts à défendre nos intérêts avec la même détermination ? »

 

Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers