Lors de son périple en Guadeloupe ou et en Martinique, le ministre des Outre-mer Manuel Valls n’a pas rencontré les acteurs de la filière banane. L’œuvre certainement d’une alliance entre des politiques locaux et certains bureaucrates de l’Etat, pseudo-écolos de salon.
Quel dommage que Manuel Valls n’ait pas rencontré le jeune Johan Edwige, âgé de 34 ans, qui vient de se lancer en créant son exploitation de 6 hectares dans la belle commune du François. Il est le symbole d’un fait majeur : la banane est le principal pourvoyeur d’emplois dans le monde agricole antillais avec la canne à sucre.
La banane est le fruit le plus consommé par les Français et leur marque préférée (« Banane de Guadeloupe et Martinique »). Et si la banane résiste contre l’absurde, c’est aussi qu’elle bénéficie d’un atout majeur : elle est portée par une filière de professionnels amoureux de leur terre et de leur fruit. Alexis Gouyé préside aux destinées de Banamart, l’Union des producteurs de Banane de la Martinique. Les professionnels du secteur viennent de fêter par exemple les dix ans du lancement du concept de la « banane française », une offre de qualité haut de gamme qui contribue à l’excellence de la gastronomie française, initiée par Jean-Claude Marraud des Grottes. « Si demain la filière banane s’effondre, c’est toute l’agriculture antillaise qui s’effondrera avec », nous confie Alexis Gouyé.
Lorsque nous écrivons à longueur d’éditoriaux que les Ultra-marins ont bien davantage besoin d’une grande loi d’adaptation du droit national et européen aux Outre-mer, notamment en matière agricole, plutôt que d’une loi dirigiste contre la vie chère, il est une preuve qui saute aux yeux : en Martinique et en Guadeloupe, la banane française se bat contre vents et marées, c’est-à-dire contre un Kafka français et bruxellois qui a empêché de lutter contre un champignon mortel, la cercosporiose noire du bananier.
L’idéologie pseudo environnementaliste, la machine bureaucratique française et bruxelloise et l’incompétence de nos chers politiques se sont ligués pour enserrer les producteurs de bananes antillais et des empêcher de développer leur filière, alors même que le marché existe, que ce soit en France ou à l’international. Des interdits pseudo-sanitaires ont empêché de lutter efficacement contre ce champignon.
Crime de lèse production et de lèse tradition !
Et ce d’autant que la banane de Martinique et de Guadeloupe est la plus vertueuse des bananes au monde : la consommation annuelle de matières actives est de 3 kgs par hectare (estimation du CIRAD) contre 60 kgs pour les bananes concurrentes importées sur le marché français et européen.
Résultat : d’année en année, la production de bananes est passée de 250.000 tonnes en 2014 (date de l’arrêt de l’épandage aérien et de la réduction des moyens de lutte contre ce champignon) à 186.000 tonnes en 2024. Le nombre d’exploitations a baissé et ils sont aujourd’hui 450 producteurs.
Manuel Valls parlait d’étouffement ? Voilà le véritable étouffement de la Martinique !
Car cette contraction « mécanique », artificiellement imposée, de la production a empêché les producteurs de se développer et dissuadé évidemment de nombreux jeunes de s’installer dans ce secteur pourtant traditionnel et emblématique de la Caraïbe française. Car il faut le rappeler, si la banane est une fierté française, elle est aussi une fierté antillaise, un pilier de l’économie et des traditions locales : 6000 emplois sont en jeu.
Alors que faire pour relancer la banane ?
Au Salon international de l’agriculture en février dernier, les dirigeants de la filière agricole, en présence d’ailleurs du jeune paysan Johan Edwige, ont tiré la sonnette d’alarme et ont appelé les autorités françaises et européennes à permettre enfin aux producteurs de pouvoir bénéficier eux aussi d’adaptations ciblées mais efficaces des normes aux spécificités de leur marché et de leur territoire.
Déjà la grande loi agricole, attendue depuis la mobilisation du monde paysan en janvier 2024, votée à la veille du Salon de l’agriculture par le Parlement français, est le fruit d’une prise de conscience de la nécessité absolue d’alléger les normes administratives et environnementales qui pèsent sur le monde agricole français. La banane française bénéficiera-t-elle des décrets d’application de cette nouvelle loi de solidarité nationale avec nos paysans ?
Une nouvelle fenêtre de tir se présente aux professionnels de la banane : au Sénat, un projet d’adaptation du droit aux Outre-mer porté par Madame Micheline Jacques, présidente de la Délégation aux Outre-mer du Sénat, initiative du président Gérard Larcher lui-même, devrait permettre de faire passer certains amendements déterminants.
Les professionnels de la banane ne demandent pas la lune : ils souhaitent à court terme bénéficier d’allègements de normes techniques qui leur permettront d’accroître leur production tout en respectant les terres dont ils vivent.
Relancer la production de la banane antillaise est leur priorité. Et les solutions pratiques existent pour autant qu’on lève des interdits absurdes.
Par exemple, autoriser la mobilisation de la recherche la plus avancée, comme le font les leaders mondiaux comme Israël et les Etats-Unis, pour lutter contre la cercosporiose noire du bananier est un axe d’action immédiat. Ça tombe bien, la chercheuse française Emmanuel Charpentier, Prix Nobel de chimie 2020, a trouvé une solution technologie avancée. Malheureusement, les normes, les lourdeurs administratives (toujours elles), le manque d’incitation financière également pour attirer la chercheuse, ont conduit ce génie français à aller proposer ses services ailleurs ! Quel drame national, quelle perte d’opportunités pour la filière banane. Il est temps d’en faire bénéficier la banane française.
Autre idée concrète, rapide, efficace : lorsqu’il était Premier ministre, Édouard Philippe s’était rendu dans une plantation de bananes. Sur le terrain, en discutant avec les paysans (ça sert à cela les visites ministérielles, non ?), il avait lui-même suggéré que l’on puisse autoriser les producteurs à déployer des drones pour pulvériser des produits sanitaires nécessaires à la protection des bananes contre les champignons destructeurs.
Pourquoi huit ans plus tard, cette idée de bon sens n’a-t-elle toujours pas été autorisée par le droit français ? L’Europe a déjà statué en faveur de l’application des drones et l’Allemagne utilise déjà des drones agricoles pour la lutte contre les maladies. C’est le moment de l’inscrire dans la prochaine loi d’adaptation du droit aux Outre-mer. Le sénateur Laurent Duplomb et le député Jean-Luc Fugit portent des propositions pour autoriser l’usage de ces drones.
Cette idée simple, parmi tant d’autres, illustre l’absolue nécessité pour nos chers politiques de moins se lancer dans des grandes annonces de transformation du modèle économique des Outre-mer que d’inscrire dans le marbre de la loi et des normes des avancées techniques qui faciliteront la reprise du développement économique et redonneront de l’espoir aux producteurs.
Retour sur le Salon de l’agriculture fin février : en y dégustant une excellente banane française, nous avons confié au jeune planteur Johan Edwige [notre photo] notre certitude que la fameuse banane à 6 millions de dollars vendue aux enchères par l’artiste Maurizio Cattelan et acquis par Justin Sun, un entrepreneur chinois, en décembre dernier était certainement une banane martiniquaise et que peut-être elle avait été cueillie sur son champ à lui…
Une ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire de la France, proche des paysans, comme Madame Annie Genevard, inviterait-elle Maurizio Cattelan et Justin Sun à venir déguster la banane française sur l’exploitation du jeune Johan Edwige ?
Ce serait la meilleure campagne de promotion de l’excellence française.
Michel Taube