Opinion Outre-Mer
10H29 - mercredi 9 avril 2025

Wauquiez contre Saint-Pierre-et-Miquelon. Les Outre-mer ne sont pas le dépotoir de la République. L’édito de Michel Taube

 

Laurent Wauquiez ira-t-il faire campagne pour la présidence de LR à Saint-Pierre-et-Miquelon ? On l’imagine mal débarquant dans l’archipel pour y expliquer à ses 6 000 habitants que leur avenir passe désormais par l’ouverture… d’un centre de rétention pour clandestins sous OQTF. Il ne manquerait plus que cela : transformer un territoire français, isolé au large du Canada, en une décharge à ciel ouvert pour les échecs migratoires de la métropole.

Il y a, dans cette proposition, quelque chose de profondément révoltant : l’ancien président de la Région Auvergne – Rhône Alpes a-t-il seulement consulté les dirigeants de Saint-Pierre-er-Miquelon ? Evidemment non car ils l’en aurait dissuadé. 

Mais surtout, on savait que les Outre-mer sont trop souvent les oubliés de la République. Mais nous avons là la preuve caricaturale que les Outre-mer sont aussi, trop souvent, les variables d’ajustement, les réceptacles de nos lâchetés, les satellites éloignés dans lesquels on croit pouvoir enterrer nos échecs et nos problèmes nationaux. La proposition de Laurent Wauquiez, aussi absurde qu’indigne, ne fait que raviver ce mépris rampant, cette tradition impériale, coloniale même, qui consistait à envoyer dans ces territoires ceux dont la métropole ne voulait plus.

Comme s’en est fort pertinemment indigné Manuel Valls, ministre des Outre-mer : “Aucun territoire français ne mérite d’être traité comme une zone de relégation. Premier territoire rallié à la France Libre, les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon sont des Français à part entière et non des Français entièrement à part.

L’exil forcé, c’est une méthode de colon, pas d’élu de la République.”

Loin d’être une lubie isolée, cette idée nauséabonde s’inscrit dans une longue série de provocations politiques. Le bagne de Cayenne n’est pas un mythe : c’est une blessure historique, une réalité honteuse que la République n’a jamais vraiment assumée. Qu’en 2025, un prétendant à la présidence d’un grand parti politique propose sans ciller de recréer une forme d’exil punitif, cette fois à Saint-Pierre-et-Miquelon, est un signal alarmant de régression démocratique. L’État de droit ne s’exporte pas en containers vers l’Atlantique Nord.

Et au-delà de l’outrance, il y a l’ignorance. Comment un territoire de 6 000 habitants, avec des infrastructures limitées, une économie fragile et des équilibres sociaux déjà tendus, pourrait-il absorber une population carcérale ou administrative massive venue d’ailleurs ? Comment croire une seconde qu’une telle mesure pourrait être autre chose qu’un choc frontal, destructeur, pour la société locale ? 

Si l’idée d’isoler les criminels les plus dangereux sur des îles inhabitées, comme le suggérait Jean-Marc Governatori, leader écolo-libéral, peut encore susciter un débat – à condition qu’elle respecte les droits humains et les standards de dignité pour les détenus –, le projet de Wauquiez n’a même pas cette cohérence sécuritaire. C’est du pur populisme, qui instrumentalise les peurs sans proposer de solutions viables. Et cela, dans le mépris le plus total pour un territoire français qui mérite mieux que d’être traité comme un bagne à ciel ouvert.

Il faut dire les choses avec clarté : les Outre-mer ne sont pas le dépotoir de la République. Ils sont la République. Et ceux qui prétendent gouverner la France devraient commencer par la respecter, toute entière, de Saint-Pierre à Nouméa, de Fort-de-France à Tahiti.

 

Michel Taube

 

La fin de la guerre d’Ukraine sera longue, très longue. L’édito de Michel Taube

Donald Trump avait promis, avec sa désinvolture habituelle, qu’il mettrait fin à la guerre d’Ukraine en une journée. Un vœu pieux. Une illusion. Car la réalité géopolitique, militaire et humaine de ce conflit est d’une complexité vertigineuse. 

Pendant que le monde se déchire dans une guerre commerciale farouche, la guerre déclenchée par la Russie en 2022 est entrée dans une nouvelle phase, celle d’un chantage permanent à des cessez-le-feu partiels. Il est à craindre que sa conclusion ne viendra ni par la magie d’un tweet, ni par un marchandage de couloir entre grandes puissances. Cette guerre risque de durer. Longtemps. Très longtemps.

Fin mars, Paris accueillait un sommet crucial pour l’Ukraine. Autour de la table, les représentants de près de 30 pays formèrent la « coalition des volontaires », unie pour renforcer les capacités de résistance de Kiev. Emmanuel Macron a annoncé une nouvelle aide militaire de deux milliards d’euros : missiles, avions de combat, équipements de défense aérienne. L’objectif affiché est clair : tenir. Tenir militairement, politiquement, symboliquement. Car il ne s’agit plus seulement de défendre l’Ukraine, mais de préserver un ordre international fondé sur le droit, la souveraineté et la liberté.

Sur le front de l’est, la percée de l’armée russe en mars a été endiguée et les positions de tranchées retrouvent leur diktat.

Certes, des signes d’apaisement existent. Des pourparlers sont en cours. Un accord partiel sur un cessez-le-feu en mer Noire a même été conclu, afin de protéger les infrastructures énergétiques et les corridors de transport. Mais ces avancées restent fragiles, conditionnées aux exigences de Moscou, notamment sur la levée de sanctions. Et sur le terrain, les violations se poursuivent. La guerre s’enlise, mais elle ne faiblit pas.

Ce que le président Trump, et d’autres avec lui, semblent sous-estimer, c’est que cette guerre n’est pas un simple bras de fer entre puissances. Ce n’est pas une négociation commerciale à l’échelle planétaire. C’est un conflit existentiel. Une guerre entre frères ennemis, où la haine réciproque a été ravivée, intensifiée, sanctuarisée. Des familles, des peuples, des communautés se déchirent. Et les cicatrices sont profondes.

En Estonie, le Parlement vient de voter une loi restreignant l’accès au droit de vote aux élections municipales pour les résidents non européens, une mesure qui vise principalement la communauté russophone. C’est une conséquence directe de la guerre : la peur, la méfiance, la fracture. L’équilibre de la terreur n’est plus seulement une question stratégique entre Washington et Moscou. Il est désormais ressenti à Tallinn, à Riga, à Vilnius, à Helsinki, à Stockholm. Toute la façade est de l’Europe vit sous la menace de Vladimir Poutine, prêt à souffler sur les braises pour diviser, pour déstabiliser, pour venger.

La seule issue rapide à ce conflit serait un effondrement militaire de l’Ukraine, précipité par un retrait massif du soutien américain. Ce scénario, aussi plausible soit-il, serait une tragédie géopolitique majeure. Il ouvrirait la voie à une domination russe durable, à la perte de crédibilité de l’Occident, à la dislocation du rêve européen. Les états-majors européens y pensent. Ils s’y préparent. Mais ils ne l’espèrent pas.

Ce qui se profile, en vérité, c’est une guerre froide nouvelle génération. Une phase de négociations longues, de rapports de force, de bluff, de chantage, de petits accords tactiques. Une sortie de guerre à la fois diplomatique et psychologique, où chacun essaiera de sauver la face. Mais où personne ne gagnera vraiment.

Les démocraties européennes doivent s’y préparer : diplomatiquement, militairement, moralement. Elles doivent s’unir, tenir bon, et ne jamais perdre de vue l’essentiel : l’Ukraine ne se bat pas seulement pour son territoire. Elle se bat pour notre liberté.

 

Michel Taube

Directeur de la publication