La France vue par un Belge... La chronique de Didier Jacques
04H46 - jeudi 16 février 2023

Tels une tartuferie inaudible, les débats à l’Assemblée nationale ont-ils perdu du lustre de Molière ? La chronique de Didier Jacques

 

Mais où se trouve réellement la démocratie : dans la rue ou à l’Assemblée Nationale avec ses élus ?

Amoureux de la France, les Outre-Quiévrains cultivent une sorte de fascination étonnée vis-à-vis de la rhétorique artistique à la française.

Molière, Molière, quelque quatre siècles de célébrité mondiale plus tard, n’a-t-il pas mis en pratique et perpétué avec force des valeurs rhétoriques et déclamatoires, attirant les afficionados et secouant les idées socioculturelles reçues à son époque.

Pour sa part, Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, donne du souffle aux idées et entre dans l’histoire en déclarant être sur les bancs grâce à la volonté du peuple. Jean Jaurès mesure ses gestes, joue de sa voix puissante et nuancée, et en aucun cas ne se représente comme un pantin gesticulant – que son aéropage supporte ses idées ou non. Victor Hugo mystifiait les effets de l’ignorance sur la pauvreté, et la nécessité de passer de la parole à l’action afin ne pas faire perdre le temps ni des autres ni le sien ?

Au demeurant, la rhétorique est toujours enseignée dans des écoles célébrissimes comme « Sciences Po » ou durant le cursus des études de droit. L’éloquence fait en effet partie des qualités indispensables aux futurs hommes politiques ou avocats, surtout en France. Au XVIIIème et XIXème siècles en France, la classe de 1ère au lycée s’appelait « Classe de Rhétorique ». Jusqu’à récemment en Belgique, la 6ème classe de l’ « enseignement secondaire » était également la Rhétorique (élèves de 17-18 ans).

Les Outre-Quiévrains s’étonnent aussi de la philosophie enseignée en France, matière complètement oubliée en Belgique. Tant et si bien que nous nous passionnions pour des orateurs nés qu’ont été les Pasqua, Marchais et Seguin, et pourquoi pas les antonymes que sont les Le Pen et Mélenchon. Autant les Outre-Quiévrains s’amusaient-ils de la drôlerie des premiers surfant entre imagerie d’Épinal, gouaille, réalité et vérité, que les seconds nous laissent perplexes tant par leur populisme, vacuité, laissez-faire et pourquoi pas leur vulgarité.

Comme disait si bien Cicéron, instruire par la véracité et le sérieux du propos, plaire au moyen d’anecdotes truculentes, émouvoir pour toucher cœurs et esprits de noble manière, voici
quelques bons ingrédients. Où les trouvons-nous encore ?

A nouveau, le débat sur la durée des retraites – stérile, agité, bruyant et pour le moins longuet – agit-il comme révélateur d’une atmosphère certes assez peu constructive voire nauséabonde. Récemment, n’avons-nous pas observé une Députée s’égosillant sur sa vie au milieu de ses condisciples naviguant entre surprise, stupéfaction et une touche de satisfaction non avouée ? Sa ligne de vie, sans doute exceptionnelle – je vous laisse juge, égrène le poussage répétitif de charrettes de supermarchés, l’aide aux personnes âgées et probablement d’autres difficultés inaudibles compte tenu du tohu-bohu qui ne plaît qu’à quelques-uns s’il en est.Puis le bouquet final – qui n’a pas eu de réponse que des applaudissements : « et vous mes chers collègues qui n’avez jamais expérimenté ce type de travail pénible »…une belle conclusion…

Que reste-t-il de notre belle fascination de ce rayonnement français sans alternative apparente ?

Sur le contenu, nous ne percevons pas non plus la complication de compter les trimestres et les concessions qui peuvent s’en suivre. Peut-être ne sommes-nous pas au fait mais il serait probablement juste de compter absolument tout, c’est-à-dire à partir des études puisque qualifiantes pour une carrière valorisante. D’emblée l’omettre – puisque ces jeunes sont sans doute passablement occupés à leur table de travail (hé oui) – envoie un message peu valorisant voire discriminant vers la génération qui créera la richesse de demain donc notre art de vivre.

Comme le disait si bien Albert Camus, l’impuissance est une illusion : « la force du cœur, l’intelligence, le courage suffisent pour faire échec au destin et le renverser parfois ; il faut seulement vouloir, non pas aveuglément mais d’une volonté ferme et réfléchie. »

Dès lors, Mesdames, Messieurs les Députés, que diable ! Un peu de dignité, un peu de style, souvenez-vous que le Citoyen du monde vous regarde et que vous représentez cette belle nation qu’est la France. Souvenez-nous qu’il ne suffit pas d’avoir une idée le matin pour la crier le jour et vous comprendre le soir. Souvenez-vous que les hommes et femmes d’État dont on se souvient ne sont pas ces politiciens de passage, mais ceux qui portent des idées avec calme et sérénité.

La politique est à ce prix, alors vous serez écoutés et entendus.

 

Didier Jacques

Francophone et francophile, Didier a parcouru le monde avec curiosité et enthousiasme, à la fois pour son métier et pour son plaisir. Sa formation d’ingénieur à Liège (Belgique) a été complémentée par un MBA Finance à l’Université de Chicago dont l’approche basée sur faits est largement reconnue. Comme pour tous les Belges, la France et ses valeurs sont un baromètre culturel et socioéconomique observé plus qu’attentivement.