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11H15 - lundi 4 septembre 2023

Mortel baiser au pays du foot. La chronique de Daniel Salvatore Schiffer

 

L’affaire du « baiser forcé » de Luis Rubiales, président de la Fédération Royale Espagnole de Football (RFEF), à la joueuse Jennifer Hermoso lors de la remise de la coupe du monde féminine après la récente victoire de l’équipe espagnole, n’en finit pas de faire des vagues. Aussi, face à la polémique grandissante – un scandale qui fait unanimement aujourd’hui la une de la plupart des journaux internationaux – la FIFA a-t-elle décidé, ce samedi 26 août, de suspendre, pendant une période initiale de 90 jours en attendant l’enquête disciplinaire, ledit président de ses fonctions.

 

L’UNANIME ET JUSTE CONDAMNATION D’UN GESTE INAPPROPRIE

A ce propos, la prestigieuse Ligue du Droit International des Femmes (LDIF), association jadis créée par Simone de Beauvoir et présidée aujourd’hui par Annie Sugier, a publié, le jour même, un communiqué où, y est-il spécifié d’emblée, elle « salue la double victoire de l’équipe nationale féminine de football d’Espagne ». Et, dans la foulée, de préciser : « Championne du Monde, l’équipe nationale espagnole féminine est devenue championne d’un MeToo du football et sans doute du sport en général. »

Certes, ces mots sont-ils aussi bienvenus que sensés, en tous points légitimes. Comment, en outre, ne pas dénoncer, très clairement, ce geste aussi inapproprié qu’inélégant, voire violent (puisque non consenti par la même Jennifer Hermoso) dans son affreuse symbolique machiste, de Luis Rubiales ? Dont acte : c’est sans la moindre ambigüité que nous condamnons donc ce geste, éminemment répréhensible par-delà l’hypothétique spontanéité de l’euphorie ambiante, de ce « baiser forcé » !

 

LA NECESSAIRE ECHELLE DE VALEURS DANS LA NOTION D’ « AGRESSION SEXUELLE »

Mais, à y regarder de plus près, et sans certes rien minimiser de la gravité de pareille attitude, une analyse à la fois plus rigoureuse et nuancée s’avère toutefois nécessaire à ce très problématique sujet.

La première remarque, en l’occurrence, consiste à critiquer, tant sur  le plan juridique que moral, la notion d’ « agression sexuelle ». En termes nets et précis : peut-on véritablement mettre sur un même niveau d’échelle de valeurs, dans la hiérarchie des délits, et a fortiori des crimes commis, un baiser forcé, pour condamnable qu’il soit effectivement, et l’extrême violence, tant psychique que physique, d’un viol ? En d’autres termes encore : n’y a-t-il pas là, dans cette sorte d’équivalence ainsi établie, sans gradation dans le traumatisme engendré chez la victime, entre un baiser forcé et un viol, le risque, paradoxalement, de réduire par là, sinon de banaliser même, l’extrême gravité en effet, et plus fondamentalement encore, du viol ?

 

UN ENJEU DE SOCIETE : LE COMBAT FEMINISTE CONTRE LA CULTURE MACHISTE

Autant dire que cette affaire, si on ne veut pas tout y mélanger de manière irrationnelle ou partisane, se situe également là, en ce qui se révèle donc ici aussi, à tous niveaux (juridique, sociologique, anthropologique, éthique, philosophique), un réel enjeu de société, aux subtils confins d’un cas limite, comme sur une ténue et pourtant importante ligne de crête : le conflit entre une culture séculairement machiste, phallocrate et patriarcale, autorisant indument l’affirmation du pouvoir masculin sur le corps des femmes, et un néo-féminisme mal compris, agressif, militant jusqu’au fanatisme et, comme tel, susceptible de déboucher malencontreusement ainsi, non moins illégitimement, sur un puritanisme rétrograde, moralisateur et culpabilisateur à la fois. Avec à la clé, pour corser l’affaire, la destruction complète, à tort ou à raison, de la réputation, l’image publique ou l’honneur personnel, de l’incriminé, supposé ou avéré qu’il soit !

 

UN WOKISME AUX ALLURES D’INQUISITION

Morale de l’histoire ? Attention, donc, aux dangereuses dérives, pour le fragile équilibre de nos démocraties mêmes, de semblable processus de culpabilisation, où la permanence du jugement moral fait de plus en plus office de prétendue loi universelle et qui, sous couvert de libération des consciences ne fait, au contraire, que les aliéner !

Qu’on se le dise : ce constant lynchage médiatique, pitoyable mais efficace métonymie des moyenâgeuses chasses aux sorcières, ressemble de plus en plus, comme aux heures les plus sombres de certains régimes dictatoriaux d’autrefois, aux lâches et hypocrites tribunaux populaires, où l’acharnement de l’accusation se mêlait à la complaisance de la délation.

Aujourd’hui, pour blanchir sa conscience et se dédouaner de toute faute, il suffit de trouver une personnalité publique qui, par sa visibilité médiatique, son statut social ou son rôle professionnel, serve d’idéal bouc émissaire ou corps expiatoire ! C’est à cela que servait précisément naguère – et l’Espagne est bien placée, justement, pour le savoir, hélas, de sinistre mémoire – la « Sainte Inquisition » ! Sauf que cette « inquisition » se pare aujourd’hui, pseudo modernité oblige, des fallacieux attributs du wokisme à l’Américaine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, loin de là, si cette obscure affaire du baiser forcé, pour revenir à notre sujet initial, a été mise en exergue, en premier lieu, par un journal américain : le célébrissime et très influent « New York Times » !

 

L’INNOMMABLE BRUTALITE DU VIOL : UN CRIME PARTICULIEREMENT BARBARE

Conclusion ? S’il est en effet impératif de condamner sans ambages ce geste en tout point déplacé, inacceptable à plus d’un titre, qu’est ce baiser forcé de Luis Rubiales à l’encontre de Jennifer Hermoso (laquelle n’a d’ailleurs pas encore porté plainte en ce dossier), il n’en demeure pas moins vrai, nuance oblige là aussi, qu’il faut également raison garder, sans pour autant le minorer ni même le relativiser, dans l’établissement de la gravité des faits poursuivis ou incriminés.

Il en va ici aussi, et avant tout, du respect nécessairement dû, sans les blesser davantage encore par quelque indigne amalgame, à toutes ces femmes ayant tragiquement et véritablement subi, quant à elles, l’innommable brutalité de ce crime particulièrement odieux, barbare en ce qui concerne son auteur et douloureux pour sa victime, qu’est celui du viol ! 

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER

Philosophe, écrivain, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » et « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » (PUF), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (Gallimard-Folio Biographies), directeur des ouvrages collectifs « Penser Salman Rushdie » et « Repenser le rôle de l’intellectuel » (Editions de l’Aube/Fondation Jean Jaurès).

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