On ne pourra s’empêcher de voir dans le nom de la chaîne YouTube une métaphore des sociétés détenues à 50% par deux associés : lorsque le couple marche de concert la mécanique avance à un train d’enfer, mais dès qu’il n’est plus aligné c’est la société qui dévisse !
Pierre Chabrier et Sylvain Levy ont vu leur relation professionnelle, fondée en 2017 sur une amitié forte, se transformer en un affrontement public grinçant. Leur histoire récente illustre les chicanes majeures d’un modèle d’association où deux partenaires détiennent chacun 50 % du capital et disposent des mêmes pouvoirs de direction, sans mécanismes suffisants pour prévenir ou résoudre les conflits.
Quand l’amitié rencontre les affaires : un modèle idéaliste mais piégeux
Les associations à parts égales entre deux personnes – souvent fondées sur une amitié ou une confiance réciproque – s’apparentent à un mariage professionnel. La dynamique d’une telle association repose sur la conviction que les objectifs et les intérêts resteront toujours alignés. L’expérience montre que cette harmonie initiale est malheureusement fragile, en particulier lorsque les statuts sociaux manquent d’anticipation.
Dans le cas Vilebrequin, des accusations croisées de gestion unilatérale des fonds d’un côté et d’acquisition personnelle d’actifs sans concertation de l’autre : Pierre aurait vidé le compte bancaire de la société sans en informer Sylvain, grâce à un accès unilatéral, et Sylvain, de son côté, aurait racheté le célèbre « 1000tipla » de la société (un véhicule survitaminé !), actif étroitement lié à l’image de la chaîne, sans en informer Pierre.
Les dangers inhérents au 50/50 : blocages et abus
La volonté d’égalité parfaite entre des associés qui disposent des mêmes droits de vote et des mêmes pouvoirs de direction rencontre deux écueils principaux :
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Blocage décisionnel : en cas de désaccord, chaque associé-dirigeant dispose non seulement d’un pouvoir de décision, qu’il peut exercer notamment pour contrecarrer toute décision de l’autre associé-dirigeant, mais également d’un droit de veto susceptible de paralyser la gestion de la société. Dans ce contexte, le blocage peut par exemple concerner la conduite de la société vis-à-vis des tiers (comme la conclusion de partenariat) ou surtout les décisions de nomination et de révocation des dirigeants, empêchant toute solution d’émerger au sein de la communauté des associés ;
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Risques d’abus : sans précautions statutaires, un associé-dirigeant peut exploiter certaines lacunes pour agir unilatéralement, comme retirer des fonds ou disposer d’un actif essentiel à l’activité de la société.
De telles éventualités sont rarement envisagées lors de la création d’une société, l’enthousiasme initial occultant les scénarios de crise et, dès lors, la nécessité d’un conseil juridique préalable.
Anticiper les conflits : l’importance de la rédaction des statuts
La plupart des difficultés liées aux sociétés à 50/50 peuvent être prévenues par une rédaction rigoureuse des statuts et des conventions d’associés. Quelques précautions clés :
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Clauses de gestion conjointe : prévoir que certaines décisions stratégiques (utilisation des fonds, cession d’actifs clés, etc.) nécessiteront un accord unanime ou l’intervention d’un médiateur ;
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Clauses d’arbitrage : en cas de blocage, prévoir qu’on désignera un arbitre externe peut permettre d’aller rapidement de l’avant ;
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Contrôle bancaire à double signature : afin d’imposer une validation conjointe pour les transactions importantes ;
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Préemption et sortie : définir les conditions de cession des parts en cas de conflit, pour éviter les situations de cohabitation forcée.
Ces outils permettent d’encadrer la gestion de la société mais aussi de protéger ses associés. Dès lors que les statuts prévoient explicitement le respect d’un certain formalisme, le risque de voir l’un des associés abuser de ses fonctions, notamment en détournant des actifs à son profit, est en principe limité. Cependant, lorsqu’une décision est prise par un des dirigeants en violation des limitations de pouvoirs prévues aux statuts, celles-ci étant sauf exceptions inopposables aux tiers, la société est tout de même engagée par des actes pris en violation des limitations de pouvoir.
Que faire en cas de conflit ?
Quand un conflit éclate, plusieurs stratégies peuvent être envisagées :
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Recours à un médiateur : une médiation peut rétablir le dialogue et permettre une résolution amiable ;
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Rachat des parts : si les relations sont irréparables, l’une des parties peut proposer le rachat des parts de l’autre, ce qui évite de rendre le conflit public, épargne de l’énergie, du temps ainsi que les coûts et l’aléa judiciaire inhérents à toute action judiciaire ;
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L’administration judiciaire : lorsque la société est paralysée et qu’il est peu probable qu’elle retrouve un fonctionnement normal, l’un des associés-dirigeant peut demander au juge la nomination d’un administrateur judiciaire étranger aux dissensions qui aura pour mission et pouvoir de gérer la société. Ce mécanisme peut débloquer la situation et éviter une dissolution de la société, mais il est souvent lourd et coûteux ;
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Dissolution pour mésentente : lorsque la volonté de collaborer entre les associés (affectio societatis) a disparu, il peut être demandé au juge de prononcer la dissolution de la société s’il constate sa paralysie du fait de l’incapacité des organes sociaux à la diriger. C’est l’ultime solution lorsque toutes les autres voies ont échoué. Une telle dissolution pour mésentente entraîne la liquidation de la société.
Plus généralement, des procédures contentieuses peuvent être engagées, notamment pour dénoncer des abus de majorité, de gestion ou encore de biens sociaux. Ces actions peuvent être assorties d’une sanction pénale (amende et peine de prison). En toute hypothèse, il est toujours utile de rappeler à l’autre partie qu’elle s’expose à des sanctions qu’elle n’avait pas nécessairement anticipées.
Dans l’affaire Vilebrequin, à n’en pas douter, des actions sur ces fondements pourraient être envisagées aussi bien pour régler la question de la détention par Pierre de l’ensemble des fonds de la société que celle de la vente par Sylvain à lui-même du « 1000tipla ».
Enfin, on notera avec malice que Pierre et Sylvain laissent chacun entendre que, dans cet imbroglio juridique, leurs positions respectives seraient bien fondées. Or, si tel avait été le cas, leur différend aurait pu être tranché par un juge des référés depuis longtemps…
L’association à 50/50, un pacte à manier avec prudence
Les sociétés à parts égales sont souvent à double tranchant : elles favorisent l’égalité décisionnelle, mais exposent aussi à des blocages et des conflits intérêts.
Chez Rive Gauche Avocats, nous encourageons nos clients à anticiper ces écueils dès la création de leur entreprise, en les accompagnant dans la rédaction de statuts précis et adaptés. Et si le conflit survient malgré tout, nous sommes là pour les aider à trouver des solutions efficaces préservant autant que possible leurs intérêts et patrimoines.
Pour éviter le mur à votre aventure entrepreneuriale : anticipez, prévoyez, protégez !