Opinion Business
18H56 - jeudi 13 février 2025

Khalid Ait El Madani, fondateur de Bom Architecture : entre défis et opportunités pour une architecture visionnaire

 

L’architecture au XXIe siècle est en pleine mutation dans un contexte économique compliqué. En France, comme dans le reste du monde, les défis sont nombreux : urbanisation croissante, changement climatique, pénurie de ressources, et évolution des modes de vie. Les architectes doivent désormais penser durable, innovant et inclusif. Ils sont appelés à repenser les villes, à créer des espaces de vie plus sains et plus respectueux de l’environnement, tout en répondant aux exigences de confort et de sécurité des usagers. Dans ce contexte, les jeunes architectes comme Khalid Ait El Madani jouent un rôle crucial en apportant des solutions créatives et responsables.

Khalid Ait El Madani est un architecte franco-marocain dont le parcours est aussi riche que son héritage culturel. Né à Paris dans le XVIIIe arrondissement, il a passé une grande partie de son adolescence à Casablanca, au Maroc, avant de revenir en France pour poursuivre ses études. C’est à Bordeaux, une ville qu’il a appris à aimer, qu’il a entamé son cursus universitaire en architecture, avant de le terminer à Paris.

 

Une double formation pour une vision unique

Ce qui distingue Khalid de nombre de ses confrères, c’est la richesse de sa double formation, comme une rivière qui s’enrichit de deux sources distinctes. Passionné par l’architecture, il a d’abord exploré le monde de l’infographie multimédia, s’immergeant dans l’art délicat de la reproduction d’images de synthèse et du graphisme au service des sociétés d’architecture. Cette première aventure lui a permis de façonner son regard, d’affiner sa compréhension de la lumière, des lignes et des volumes, comme un peintre qui apprend à jouer avec les ombres et les couleurs. « L’infographie m’a appris à voir l’architecture sous un angle différent, à penser en termes de représentation visuelle et de graphisme. Cela m’a permis de développer une approche unique et innovante dans mes projets » nous explique ce jeune chef d’entreprise.

 

L’entrepreneuriat, une évidence… pas si évidente

Après avoir obtenu son diplôme, Khalid s’est rapidement lancé dans l’entrepreneuriat. En 2015, il a cofondé l’agence Bom Architecture, une aventure enrichissante qui lui a permis de consolider sa vision et d’acquérir de précieuses expériences avant de prendre seul son envol.

Dès les débuts, Khalid a participé à plusieurs concours nationaux et internationaux, remportant notamment le premier prix pour la conception de la première maison d’architecture en Afrique. Cette victoire a agi comme un véritable catalyseur, l’incitant à créer sa propre structure. »Nous étions jeunes et ambitieux » nous confie-t-il. « Avec ce premier prix, tout semblait possible. Fonder Bom Architecture était une évidence, une étape naturelle pour pouvoir donner vie à nos idées et exprimer pleinement notre vision de l’architecture ».

Bom Architecture a poursuivi son chemin en participant à des concours prestigieux et en remportant le concours EDF bas carbone 2016, 8e édition sur le thème de « la ville en 2050 : transformation durable de la ville ». Notre jeune agence a également été récompensée par Holcim Awards en 2020 « Catégorie principale », jusqu’à obtenir une reconnaissance majeure en exposant à la Biennale de Venise, l’une des manifestations d’architecture les plus prestigieuses au monde. Cet accomplissement a marqué un tournant dans la carrière de Khalid, renforçant sa crédibilité et plaçant l’agence sur la scène internationale.

 

Cependant, comme le souligne Khalid avec lucidité : « Architecte et entrepreneur sont deux métiers bien différents. » Avec le temps, les défis de la gestion quotidienne – entre la direction de projets, le développement de l’agence et la recherche de nouveaux sujets – sont devenus difficiles à concilier. « Il fallait trouver un équilibre entre expérimenter à travers des concours et assurer la pérennité de l’agence avec des projets concrets. C’est un défi immense » poursuit-il.

Après plusieurs années, cette réflexion l’a conduit à prendre une décision déterminante. Pour Khalid, cette étape a été une opportunité de réorienter sa carrière et de redéfinir ses priorités, tout en continuant à explorer de nouvelles manières de concevoir et de bâtir.

 

Une agence à taille humaine

Aujourd’hui, Bom Architecture se distingue par son approche à taille humaine, s’appuyant sur une organisation agile pour répondre à des projets en France et à l’international, au gré des appels d’offres. « Je privilégie une structure légère, car elle favorise une meilleure communication et offre une grande flexibilité dans la gestion des projets comme nous l’avions prouvé autour de notre projet de 98 logements collectifs livrés à Bordeaux en 2024 ».

crédit photo : Nicolas Romuald

 

L’épure et la simplicité, des concepts clés pour des projets innovants et responsables

L’approche de Khalid est centrée sur l’épure et la simplicité. Des concepts qu’il applique pour résoudre des problèmes complexes avec des solutions percutantes. Il insiste sur l’importance de l’intégration du projet dans son contexte culturel et environnemental, une philosophie qui l’a conduit à des projets innovants comme la reconstruction de bâtiments administratifs pour le service des postes et télécommunication à Wallis et Futuna en utilisant des techniques et matériaux locaux. « Que ce soit à l’étranger ou localement, chaque projet que nous lançons fait l’objet d’une étude approfondie du site, du terrain et, surtout, du contexte culturel et social, afin de proposer la réponse la plus adaptée. Notre ambition est qu’à terme, les habitants s’approprient pleinement le projet », explique Khalid.

 

À Wallis-et-Futuna, ils ont été séduits par les anciens édifices religieux construits en pierre volcanique, un matériau pourtant abondant sur l’île, mais peu utilisé dans les bâtiments récents. Khalid et son équipe ont également été fascinés par les habitations traditionnelles, appelées falé, ainsi que par les remarquables préaux, structures caractérisées par leur forme circulaire. Géométrie pas seulement fonctionnelle — résister aux cyclones —, mais portant une forte charge symbolique, évoquant la vie cyclique : naissance, mort et renouveau.

« Inspirés par ces savoir-faire et symboliques locales, nous avons intégré ces éléments à notre projet en concevant un parvis circulaire qui épouse harmonieusement la topographie du site » précise Khalid. « Toutefois, le développement de ce projet s’est avéré complexe en raison de la perte de savoir-faire en taille de pierre naturelle. Mais grâce à l’accompagnement du maître d’ouvrage et à la volonté de l’entreprise, nous avons su relever ces défis, et le projet est désormais sur la bonne voie ».

crédits photos : Bom Architecture et Studio Stefano Sbarbati Architecte

Ce travail apporte de nombreux avantages : il valorise et transmet des savoir-faire ancestraux, tout en limitant les importations de matériaux. Cela permet de réduire à la fois l’empreinte carbone et les coûts, tout en renforçant le lien avec le patrimoine culturel local.

 

La réflexion alliée de l’innovation

La réussite de ce projet place désormais Bom Architecture comme une « référence du construire autrement ». Une expertise transposable au Maroc par exemple, avec leur nouveau projet sur lequel travaille l’équipe qui utiliserait du béton de terre (matériau de construction à base de terre crue argileuse, plus connu sous le terme de torchis). « Le chantier de Notre Dame à Paris nous a démontré que les métiers anciens retrouvaient toute leur importance et qu’il était possible de faire les choses comme on les faisait à l’époque » s’enthousiasme note bâtisseur des temps modernes. « Un architecte n’est pas que là pour construire. Il doit aussi défendre un patrimoine ». Démolir ou réhabiliter ? Une alternative sur laquelle s’interroge régulièrement notre maître d’œuvre.

 

Un engagement pour le développement durable

Khalid est profondément engagé dans le développement durable et de détailler « nous devons intégrer les épuisements des ressources et la rareté des énergies. En tant qu’architectes, nous endossons la responsabilité de proposer des solutions qui sont à la fois innovantes et respectueuses de l’environnement. Nous ne sommes que locataire de la Terre. Je suis convaincu que nous pouvons faire la différence, un projet à la fois, en nous donnant les moyens et en prenant le temps de la réflexion ».

Pour Khalid, l’architecture est plus qu’un métier, c’est une mission. « Chaque projet est une opportunité de répondre aux défis actuels tout en préparant l’avenir. Mon rêve est de laisser une trace durable mais utile de mon passage. J’aimerais être l’architecte d’un édifice remarquable dans le XVIIIème à Paris ou à Casablanca, respectivement emprunts de mes racines » conclut-il.

 

 

Propos recueillis par Georgia Sarre-Hector