Depuis 1998, la ville de Goma, située à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) dans la région du Nord Kivu, est la proie de nombreux conflits qui opposent l’armée nationale et des troupes rebelles. Ces conflits toujours d’actualité se sont accentués depuis le printemps dernier avec l’administration rebelle autoproclamée M23. La population civile, dont les femmes victimes de viols récurrents, paye le prix de cette guerre.
Plus de 200 000 femmes violées depuis 1996
En réponse au siège de Goma par les rebelles M23 en novembre 2012, un rapport de l’ONU paru le 8 mai dresse le bilan de quatre-vingt dix-sept femmes et trente trois filles âgées de six à dix sept ans violées entre le 20 et le 30 novembre 2012. Ces viols commis de manière généralisée sont constants et laissent des femmes meurtries physiquement et psychologiquement. Celles qui y survivent ont comme premier réflexe d’aller à l’hôpital puisque le risque de transmission de maladies est élevé : d’après l’ONG Oxfam le VIH affecte 17 à 20% des victimes de viol. Néanmoins les budgets sont très faibles et l’importante progression de ce fléau réduit la capacité d’accueillir toutes les victimes.
Ces agressions sexuelles entachent la réputation d’une femme qui est dès lors exclue de la société. Ces femmes répudiées par la famille sont seules et démunies financièrement. La lutte contre ces ‘viols de masse’ mobilise, en plus de nombreuses ONG internationales, des Congolaises courageuses qui apportent un soutien aux victimes. Parmi elles, l’Association nationale des Mamans pour l’aide aux déshérités (ANAMAD) fondée en 1997 propose des logements pour 38 femmes qui sont examinées par 12 conseillers psychologiques. Il est important que le soutien soit avant tout moral car cela aide les victimes de viol à surmonter le traumatisme. Ainsi Jane Mukuninwa déclare, « Je peux encore m’aimer malgré ce que j’ai vécu, car cela m’a rendu plus forte ».
« Nous avons violé et tout détruit sur notre passage… car quand nous violons, nous nous sentons libres »
L’urgence est maintenant de punir les auteurs de ces viols, mais là encore la tâche s’avère difficile. En effet, un paradoxe important se dessine puisque les responsables se trouvent aussi bien dans les troupes du M23 que dans l’armée congolaise, censée protéger la population. Un membre des Forces armées congolaises (FARDC) qui a partagé son expérience sur France24 avoue avoir violé cinquante trois femmes à lui seul. L’âge de ces femmes variait, allant de trois ans à quarante ans. Si ces actes sont justifiés par « une baisse de morale » d’après les soldats et par « un esprit de guerre » selon l’avocate Mireille Amani au barreau de Goma, ils ne sont pas sévèrement punis.
Alors que le viol est condamné de cinq à vingt ans de prison par la loi, les plaintes déposées n’aboutissent pas. Certaines femmes ne reconnaissent pas leurs violeurs puisque les agressions ont lieu dans des forêts ou des ruelles dans l’obscurité. En outre, les sentences sont peu appliquées, et les prisonniers bénéficient souvent de remises de peines. « Depuis 1952 que la prison est là, personne n’a passé vingt ans en prison. Je peux faire quatre ou cinq ans puis on va me libérer », explique l’un des détenus de la prison Muzenze.
Le viol est utilisé comme une arme de guerre
La tragédie des Congolaises est aggravée par cette question de l’impunité et celle de l’injustice. L’horreur qu’elles ont vécue n’est pas prise en compte et Solange Mouthaan, professeur de droit à l’université de Warwick, explique cette infortune par la non reconnaissance du viol comme un crime basé sur le genre à part entière. Le viol à Goma est désormais banalisé, perçu comme un acte privé propre à la guerre : cependant, selon le professeur Mouthaan, le viol est un crime envers les droits humains qui devrait être prohibé, empêché et puni.
Si cette faute n’est pas pénalisée à sa juste valeur, les femmes ne peuvent se sentir dédommagées puisque leur rôle est amoindri dans le processus judiciaire. L’avocate Amani fait savoir que « si la loi était appliquée, cela réduirait les cas de viols ». A la demande pressante de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), Kinshasa a mené en décembre 2012 une enquête judiciaire qui a abouti à l’arrestation de douze officiers supérieurs. Aucune date de procès n’a pour l’instant été transmise.