Avec l’émoi créé dans la société française par cette malheureuse affaire dite « du burkini », la question identitaire s’invite à nouveau dans le débat public dans un contexte tendu de terrorisme se réclamant de l’islam. Nous ne pouvions rester muets sur cette question et voulions exprimer publiquement notre vision, celle d’une citoyenne, comme il y en a des centaines de milliers en France, binationale française et algérienne qui adhère, doit-on le préciser ?, au modèle républicain universaliste, plus communément appelé la laïcité à la française.
Nous pouvons aussi nous définir comme des « musulmans libéraux qui s’assument » proches de la mouvance d’un Abdennour Bidar qui plaide pour un éveil des consciences face à l’obscurantisme qui sclérose notre religion.
Nous plaidons pour une sécularisation des rapports entre les musulmans et la société.
Ceci posé, et au nom même de la position que nous venons de préciser, nous sommes opposés à l’interdiction du burkini ou de tout autre vêtement identifié comme « d’appartenance religieuse » dans l’espace public.
Pourquoi ce positionnement ?
Nous voulons mettre en garde contre deux dérives qui s’alimentent l’une et l’autre : le communautarisme d’un côté et l’ultra-laïcisme dogmatique (antireligieux mais qui ne cible que l’islam, uniquement l’islam).
Il nous paraît nécessaire tout d’abord de bien définir le terme « communautarisme » brandi par le monde politico-médiatique qui est devenu une « phobie française » raillée par les autres pays occidentaux : sa connotation est péjorative (alors que celle de « communauté » reste très positive) et ce terme ne cible que les citoyens de confession musulmane et pas les autres.
Il s’agit en fait d’un repli identitaire qui ne représente qu’une infime minorité des millions de Français de confession musulmane en France. Cet entre soi est représenté par un islam rigoriste (qu’on peut nommer comme on veut, salafiste, wahhabite …) qui nous vient d’ailleurs et qui prospère dans des quartiers défavorisés où une population de culture musulmane a été reléguée.
Cette population souffre de racisme et de discrimination, on lui reproche « un déni de francité » mais on ne la considère pas comme française (des enfants nés en France de troisième voire quatrième génération d’immigrés sont toujours désignés comme « issus de l’immigration »). C’est une population fragilisée sur le plan identitaire qui cède aux sirènes de l’intégrisme religieux (tu me rejettes donc je marque ma différence).
« La France est prisonnière d’un cercle vicieux où la discrimination à l’égard des minorités nourrit leur repli, qui exacerbe à son tour la discrimination dont elles sont victimes. » comme le dit Marie-Anne Valfort.
On ne peut nous soupçonner de connivence avec les islamistes. Or notre position est celle d’un garde-fou pour protéger le modèle universaliste français versus communautariste anglo-saxon.
Nous devons combattre ces deux dérives conjointement pour éviter une hystérie généralisée anti-islam primaire teintée d’accent raciste et néo-colonialiste.
Nous en voulons pour preuve le dérapage sémantique à connotation paternaliste de « musulmans discrets », l’expression malheureuse de Jean-Pierre Chevènement pourtant pressenti pour prendre la présidence de la fondation de l’islam de France.
Nomination qui serait d’ailleurs une hérésie puisque cette présidence devrait être proposée en toute logique à un musulman – ou une musulmane, ne serait-ce que pour respecter leur dignité.
Laïcisme et communautarisme, même combat
Notre position est celle exprimée par la philosophe Catherine Kintzler qui a publié en 2007 l’ouvrage « Qu’est-ce que la laïcité ? » : « Les laïques ont combattu et combattent le communautarisme (…). Mais ils doivent aussi avoir le courage de combattre, y compris en leur propre sein, l’ultra-laïcisme dogmatique. Celui-ci non seulement ruine la laïcité en la vidant de son sens, mais, en pourchassant dans la société civile les manifestations religieuses ou d’appartenance, il encourage le communautarisme et coalise autour des appartenances ainsi menacées des solidarités inespérées. C’est pourquoi la dérive « laïciste » est symétrique de la dérive communautariste : en stigmatisant les manifestations civiles d’appartenance, elle les transforme en étendard, ce qui cautionne leurs prétentions politiques. Soyons encore plus clair, à l’aide d’un exemple : pour donner raison à l’intégrisme musulman, un bon moyen est de réclamer l’interdiction du voile dans un hôtel, et bientôt dans le métro, dans la rue… ».
Nous en sommes maintenant…à la plage !
Plus on interdira dans l’espace public, – et là il faut bien définir l’espace public c’est-à-dire un lieu où il y a un public (rue, métro, hôtel, restaurant, commerce, plage…), les signes ostentatoires religieux qui dans le débat public ne se réfèrent qu’à l’islam, uniquement l’islam, toujours l’islam et pas aux autres religions, et plus on cautionnera les fondamentalistes religieux en créant une solidarité inespérée à leur encontre pour les avoir « victimisés ».
Il n’y a qu’à constater le phénomène de mode exponentiel du port du hijab depuis l’interdiction du voile à l’école.
Précisons néanmoins que nous ne souhaitons pas revenir sur les lois déjà votées en France (interdiction des signes ostentatoires religieux à l’école primaire et interdiction de la burqa dans l’espace public).
Nous sommes attachés au mot « liberté » de notre tryptique républicain qui est aussi un fondement de la laïcité car elle se décline en liberté de conscience, liberté d’opinions, liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de culte liberté de s’habiller comme on veut….
Dénaturer ce système d’organisation sociétale en lui retirant la valeur « liberté », à coup de règlements inapplicables et de tracasseries mesquines, c’est le tuer à petit feu.
Alerte aux politiques
Et c’est la raison pour laquelle, à l’aune de la campagne présidentielle, nous devons tirer la sonnette d’alarme aux apprentis sorciers représentés par des politiciens à courte vue qui veulent séduire les électeurs du Front national juste pour accéder au pouvoir mais qui n’imaginent pas les dégâts qu’ils peuvent occasionner concernant le « vivre ensemble ».
Interdire et/ou légiférer sur l’interdiction du port du burkini est une faute politique et sociétale. Cela vaut aussi pour l’interdiction du voile à l’université ou le retrait des menus de substitution dans les cantines des écoles publiques et toute autre mesure qui viserait à sanctionner une pratique religieuse.
L’excès en tout est nuisible.
Nous rejetons avec force et vigueur tout fondamentalisme, tout communautarisme.
Alors il nous faut avoir le courage de balayer devant notre porte et rejeter tout fondamentalisme y compris le fondamentalisme laïc.
Revenons-en donc à la lettre et à l’esprit de la Loi de 1905 qui est celle de la neutralité de l’Etat et évitons d’hystériser un débat qui ne l’est déjà que trop. Et ne devenons pas en définitive les fossoyeurs plus ou moins conscients du principe fondamental de laïcité.
La lutte contre le fondamentalisme, la lutte contre l’obscurantisme ne passe pas par de dérisoires contraventions de police sur nos plages, elle passe par l’éducation et la construction d’un projet républicain cohérent et ouvert pour la société française de 2016.
Elle n’est pas dans les nostalgies des combats d’autrefois.
Restons unis et concentrons-nous sur ce qui nous rassemble et pas sur ce qui nous divise !
Ferial FURON
Présidente du collectif FARR (Franco Algériens Républicains Rassemblés)
http://farr75016.e-monsite.com/