Ecrivain, scénariste, dessinateur… Tous ces métiers ont un point commun : ils créent des œuvres !
Or rares sont les auteurs de livres à pouvoir vivre de leur écriture et de leur dessin. Depuis 2018, à travers le mouvement #Payetonauteur, et avec la création de la Ligue des Auteurs Professionnels, nous assistons à un retour d’une revendication puissante des auteurs, pourtant aussi ancienne que Balzac : créer, cela peut-être aussi exercer un métier
Le secteur du livre comprend une chaine de production qui part de l’auteur et va jusqu’au libraire, en passant par l’agent, l’éditeur, l’imprimeur ou encore le diffuseur-distributeur.
Tous ces corps de métiers cherchent à s’y retrouver financièrement, évidemment, mais qu’en est-il de l’auteur ? Il est à la base de tout un système. Sans lui, pas de livre, pas de bande dessinée, pas de scénario ! Aujourd’hui, le malaise social des auteurs ne cesse de croître.
Les études se multiplient, montrant qu’entre 41%1 et 53%2 des professionnels gagnent moins que le SMIC et que leurs revenus continuent de baisser, en particulier pour les plus jeunes3.
Contrairement à la presse, le secteur du livre n’a pas été fortement affecté par la dématérialisation des contenus. D’après l’Insee, la valeur ajoutée du secteur du livre, de l’édition et des activités de traduction et d’interprétariat a progressé de 30 % entre 1995 et 2004 pour s’établir à 2,7 milliards d’euros. Elle est restée à ce niveau jusqu’en 2012 et décline légèrement depuis, pour s’établir à 2,6 milliards en 2014.
Mais les auteurs ne s’y retrouvent pas ! Ou pas assez…
Dans la continuité du mouvement #Payetonauteur, qui revendique une rémunération plus juste, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, des États Généraux de la Bande Dessinée, le SNAC BD et de nombreux auteurs se sont réunis pour lancer la Ligue des Auteurs Professionnels en septembre 2018. Cette Ligue a pour but de sauvegarder le métier et améliorer les conditions de création de tous les auteurs : protection sociale, rémunération, renforcement du droit d’auteur, encadrement par le code du travail, rééquilibrage du rapport auteur/éditeur…
Opinion Internationale a rencontré Samantha Bailly, autrice et présidente de la Ligue des Auteurs Professionnels.
Opinion Internationale : Samantha Bailly, pourquoi les auteurs ont créé la Ligue des Auteurs Professionnels ?
Samantha Bailly : La Ligue des auteurs professionnels est l’alliance d’organisations d’auteurs déjà existantes et d’auteurs qui, individuellement, ont souhaité s’engager pour qu’enfin, les lignes bougent dans le secteur de l’édition. De fait, nos associations et syndicats sont historiquement liés à un secteur précis, ce qui est assez logique compte tenu des spécificités de chaque genre – littérature générale, BD, jeunesse, etc. L’année 2018 a été particulièrement éprouvante pour les auteurs du livre, qui ont dû faire face à des réformes transversales qui nous pénalisent, en parallèle d’une baisse forte des revenus conjuguée à une hausse de cotisations.
Lors de Livre Paris (le salon annuel du Livre à la porte de Versailles), le mouvement #Payetonauteur a cristallisé de nombreux enjeux, qui peuvent se résumer en une phrase : nous exerçons un métier, et nous souhaitons que la chaîne du livre et les pouvoirs publics le reconnaissent. Le terme de « professionnel » est un mot qui nous tenait à cœur, car il dit enfin que nous formons, tous ensemble, ce qui est bel et bien une profession.
Quelle est la mission de la Ligue des auteurs professionnels ? Et comment comptez-vous y parvenir ?
La mission de la Ligue est très simple : améliorer les conditions de création des auteurs, et faire en sorte qu’écrire et dessiner des livres en France puisse continuer à être un métier. Notre chantier prioritaire est la question du régime social de l’auteur en France. Il n’existe pas de véritable statut de l’auteur, mais une appartenance parcellaire à des régimes contradictoires. Cela explique en grande partie les problèmes actuels des auteurs du livre : ils sont mal protégés socialement et fiscalement, mais surtout ils ne sont pas du tout protégés par le code du travail et n’ont donc pas non plus de rémunération minimum garantie. C’est d’autant plus paradoxal qu’ils sont le premier maillon d’une chaîne du livre qui fait bien peser sur eux les contraintes liées à son économie. Souvent, on résume les difficultés des auteurs à un problème de répartition de la valeur, ce qui est en partie vraie, mais la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est bien plus profonde et systémique. De fait, aujourd’hui, ce sont les auteurs qui portent sur eux la majorité des risques pris par l’édition française.
Quelle est la part que touche un auteur sur le prix d’un livre ?
Tout dépend des secteurs, mais les chiffres sont à la baisse ! En littérature jeunesse, le dernier baromètre SCAM/SGDL faisait état d’une moyenne de 5,2% de droit d’auteur, à se partager entre auteur et illustrateur. Les auteurs de littérature jeunesse souffrent d’une réelle discrimination à bien des niveaux, rémunération y compris, puisque les droits si faibles sont des « usages » du milieu. En Bande Dessinée, les pourcentages sont historiquement plus élevés, de même que les à-valoir, cependant, les conditions ont diminué drastiquement cette dernière décennie. Le pourcentage n’est pas la seule question à se poser quand il s’agit de la rémunération, puisque notre système est construit sur le principe de l’à-valoir, c’est-à-dire une avance sur droits. Les auteurs doivent déjà avoir vendu un nombre d’exemplaires couvrant cette première somme d’argent fixée durant leur temps de création, pour espérer toucher par la suite le pourcentage sur les ventes d’un ouvrage. Compte tenu du contexte de surproduction d’ouvrages et de la baisse des ventes au titre, les auteurs qui touchent un pourcentage sur leurs ventes ne sont plus si nombreux, contrairement à une certaine époque où le marché était différent.
Un auteur qui débute a-t-il son mot à dire ?
Bien sûr. Mais comme dans tous les domaines, la question est le rapport de force sous-jacent. L’auteur qui débute est la partie faible. Il est un individu seul, face à une entreprise. Peu d’auteurs arrivent dans le milieu en ayant une formation sur les réalités pragmatiques de l’édition. Qu’on le veuille ou non, à partir du moment où un ouvrage est publié, le livre est une œuvre, mais devient aussi un objet économique. L’auteur doit faire cohabiter l’acte d’écriture, la création, ce qu’il a de plus intime, avec les réalités de ce qui est aujourd’hui une industrie. Très peu d’auteurs sont informés de leurs droits fondamentaux, d’un point de vue juridique, social ou fiscal. C’est pour cela que les organisations de défense des auteurs, comme la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, le SNAC BD, l’ATLF, la SGDL, et bien d’autres, sont si importantes.
Pourquoi en France, on a tant de mal à associer la création à la notion de métier ?
C’est un vaste sujet. Pierre-Michel Menger, sociologue spécialisé dans le travail créateur, a fourni une analyse très profonde et pertinente des différents enjeux qui sous-tendent le croisement de ces deux notions. Nous-mêmes, auteurs, sommes encore prisonniers d’un certain nombre de contradictions, internes bien sûr, mais aussi que la société leur renvoie. Les réformes auxquelles nous avons dû faire face ont mis le doigt sur les injonctions paradoxales qui émaillaient notre quotidien.
D’un côté, nous sommes bien qualifiés « d’actifs » en France, et de l’autre, le système du droit d’auteur, par essence, exclut toute idée de travail, puisque la rémunération n’est pas en corrélation avec le temps passé mais avec des ventes. Les traducteurs, par exemple, ont mis en place un système de rémunération au feuillet, qui est quelque part une façon de « quantifier » leur travail de traduction. Le droit d’auteur français est très précieux, et construit sur des spécificités que la France défend vivement au niveau européen. Le paradoxe, c’est que les auteurs français, eux, n’ont jamais été face à un tel mal-être social.
Il faut renforcer le droit d’auteur, mais tout en regardant en face la réalité des auteurs, les difficultés rencontrées pour faire respecter leurs droits, et penser à comment nous allons améliorer les conditions de l’auteur d’aujourd’hui. Un exemple très simple : les auteurs ne touchent leurs droits sur les ventes des ouvrages qu’une seule fois par an de la part de leurs éditeurs. Imaginez ! Quelle profession accepterait d’être rémunérée avec un tel décalage ? Des paiements si peu réguliers, quand ils sont respectés, sont en partie la raison des problèmes que nous rencontrons vis-à-vis du prélèvement à la source, de l’accès à la prime d’activité, etc. La Ligue des auteurs professionnelle a donc adressé une lettre ouverte au Syndicat National de l’Edition afin que les éditeurs fassent enfin évoluer leurs pratiques. Ne serait-ce que la reddition de compte annuel (sauf en BD ou elle intervient deux fois par an) montre que finalement, la chaîne du livre exclut les auteurs comme de véritables partenaires professionnels. Nous sommes systématiquement ramenés à notre valeur symbolique, à la « chance » incroyable que représente la publication. Mais non, nous sommes, nous aussi, des acteurs à part entière de la chaîne du livre.
L’enquête des Etats Généraux de la BD livre des statistiques très alarmantes sur la situation sociale des auteurs de BD en particulier. 88% des auteurs professionnels n’ont jamais pris de congés maladie, 81% n’ont jamais pris de congé maternité/paternité/adoption. Est-ce valable dans d’autres secteurs ? Comment expliquer que les auteurs bénéficient si peu de prestations sociales ?
Quand elle est parue, l’enquête des Etats Généraux de la BD a été un véritable électrochoc dans l’univers de la BD, mais pas que. C’était la première fois que les questions sur les auteurs se posaient aussi sous l’angle du métier, et que la réalité concrète de notre quotidien était montrée sans fard. Il faut comprendre que nombre d’auteurs, qui sont déjà dans une situation sociale difficile, avaient beaucoup de mal à parler de leurs conditions de vie, de peur justement de mettre en danger leur carrière, ou de l’image que cela aurait pu véhiculer. La question du manque de sollicitation des prestations sociales par les auteurs est essentielle. Cela s’explique de plusieurs façons : le manque d’informations, les difficultés administratives pour faire valoir ses droits, et enfin le flux tendu dans lequel se trouvent les auteurs pour continuer à exercer ce métier. Très souvent, les auteures que je connais m’expliquent qu’elles n’ont pas pu poser de congé maternité, du fait des deadlines imposées pour la sortie d’un ouvrage, ou bien du fait d’être promenées d’interlocuteur en interlocuteur côté sécurité sociale, sans parvenir à faire valoir de façon effective leurs droits…
Samantha Bailly, vous avez tout juste 30 ans, plusieurs dizaines d’ouvrages à votre actif, vous faites partie des rares auteurs de romans qui ont vécu très jeune de leur plume, et vous êtes présidente de deux organisations importantes. Est-ce que vous représentez aussi une nouvelle génération d’auteurs ?
Comme tous les auteures et auteurs qui s’engagent, j’ai simplement envie de continuer à exercer ce métier, et que les jeunes qui commencent à publier ne vivent pas ce que nous vivons. Bien sûr, il y a une nouvelle génération d’auteurs, qui est de facto différente de la précédente, ne serait-ce que parce que le marché de l’édition a considérablement évolué cette dernière décennie.
Marie-Aude Murail, vice-présidente de la Ligue des auteurs professionnels, nous a dit lors de notre assemblée générale fondatrice : « Moi, je m’investis aujourd’hui pour les générations suivantes. Parce que je n’aimerais vraiment pas exercer mon métier d’auteure dans les conditions dans lesquelles les jeunes l’exercent aujourd’hui. » La Ligue des auteurs professionnelles est justement une façon d’allier des auteurs d’horizons très variés. De générations différentes, créant dans des genres littéraires divers, des débutants aux auteurs de best-sellers aux carrières très installées. C’est vraiment l’intention première de cette alliance entre nous tous : gommer les barrières et nous concentrer sur ce qui nous lie. Ce qui est important en tout cas, pour nous, c’est d’intégrer aussi toutes les nouvelles formes d’expression autour du livre, sans élitisme.
Justement, de plus en plus d’auteurs confirmés, ayant une carrière installée, se tournent vers l’auto-édition. Comment expliquez-vous cela ?
C’est vrai. Il faut dire qu’aujourd’hui, avec les mutations d’Internet, l’auteur a développé un lien très direct avec son lectorat. Les coûts de fabrication d’un livre ne sont plus ceux d’autrefois. C’est très simple, aujourd’hui, de publier un livre. Également, dans une stratégie de produire de plus en plus de livres pour maintenir son chiffre d’affaires, les groupes éditoriaux ont reporté le risque sur les auteurs. Cette stratégie d’occupation d’espace étouffe les ventes au titre, et donc la part qui revient à chaque auteur. Cela signifie baisse des rémunérations pour les auteurs, mais aussi des investissements qui sont fait sur chaque ouvrage, et donc de la chance de pouvoir rencontrer son lectorat. Aujourd’hui, nombreux sont les auteurs qui déplorent l’absence totale de promotion autour de leur livre, qui, s’il ne grimpe pas rapidement dans les ventes, ne peut rester sur les tables des libraires, qui eux souffrent déjà pour absorber un tel flux de nouveautés. Certains auteurs, en prenant à leur charge leur communication, ont développé un certain nombre de compétences.
Certains ont donc fait le choix de se consacrer à l’auto-édition, pour d’autres, c’est tout simplement une activité éditoriale complémentaire avec l’édition dite classique, à compte d’éditeur. En réalité, rien n’oppose les deux, mais cela pose une question inquiétante en creux : quel est aujourd’hui le rôle de l’éditeur, dans une société où justement, il est si simple de proposer des œuvres au plus grand nombre ? L’éditeur doit défendre une ligne éditoriale, des ouvrages auxquels il croit envers et contre tout, accompagner la carrière d’un auteur, l’aider à se construire. Pour cela, pas de secret, il faut du temps. Du temps individuel avec chaque auteur, du temps pour qu’un succès s’installe, du temps pour construire l’environnement qui permet de mettre en lumière un talent. La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a d’ailleurs sorti une campagne vidéo virale d’anticipation, sur ce que pourrait être la chaîne du livre dans l’avenir, à condition que cette dernière soit remise à plat…
Le Ministre de la culture, Franck Riester, s’est récemment exprimé au Festival International de la BD. Il a évoqué la précarité des auteurs, et une volonté d’agir rapidement pour y remédier. Pourtant, la colère des auteurs semble bien installée. Nous le voyons sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à avoir passé leur gilet jaune. Commet pensez-vous que cela va évoluer ?
Oui, les auteurs sont en colère. C’est un sentiment légitime, compte tenu de la situation actuelle. Imposer ces dernières années des réformes aussi profondes d’un régime social déjà fragile, sans concertation, et dans un climat aussi dur socialement pour la profession, a des conséquences très négatives. Négatives sur la vie des auteurs, individuellement, mais plus globalement sur la créativité française, et par extension son rayonnement culturel. Le Ministre de la Culture n’a donc pas détourné les yeux face à cette réalité, qui est d’ailleurs enfin exprimée comme une priorité politique. C’est un signal positif, car il sera impossible de sortir de cette situation sans une volonté politique claire et affirmée. C’est un nouvel espoir pour beaucoup. Les auteurs ont entendu bien des promesses ces dix dernières années. Les paroles sont donc importantes, mais désormais, ce sont des actes qui sont attendus, pour que les décisions qui seront prises politiquement commencent à innerver le réel. La Ligue des auteurs professionnels a déjà livré un premier constat de la situation, et a entamé un travail de réflexion et d’hypothèses sur ce que pourraient être les solutions à toutes ces difficultés. Nous espérons donc que nous serons entendus. Il y a un chantier d’envergure à mener, passionnant, pour redonner aux auteurs leur juste place dans le système. Nous attendons donc tous avec impatience les prochaines étapes.
Samantha Bailly est née le 16 novembre 1988. Elle est autrice, scénariste et vidéaste française.
Pour son premier roman, Oraisons, publié alors qu’elle a 19 ans, elle reçoit le Prix Imaginales des Lycéens en 2011.
Samantha publie Les stagiaires en 2014, puis À durée déterminée (2017) et Indéterminés (2018) chez JC Lattès, ou elle déchiffre les codes de la génération Y.
En 2017, elle est élue présidente de la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse, et en 2018, Samantha devient présidente de la Ligue des Auteurs Professionnels.
Propos recueillis par Laurent Caron
SOURCES :
1 Seulement 59% des 8000 auteurs du livre affiliés AGESSA gagnent plus d’un SMIC en droits d’auteur. Ministère de la Culture, Étude sur la situation économique et sociale des auteurs du livre – Résumé DGMIC, 2017. PDF p. 24
2 Seulement 47% des 1500 auteurs de BD à avoir répondu gagnent plus d’un SMIC brut et 36% sont sous le seuil de pauvreté. États Généraux de la Bande Dessinée, Enquête auteurs 2016 – Résultats statistiques, 2016. PDF p. 37
3 « Les générations les plus récentes ont de moindres perspectives de progression de leur revenu d’auteur que les générations antérieures […] Quelle que soit l’approche, les données indiquent donc une baisse du revenu d’auteur des affiliés du livre sur la période récente » Ministère de la Culture, Étude sur la situation économique et sociale des auteurs du livre – Résumé DGMIC, 2017. PDF p. 33-35
Pour aller plus loin : Le constat de la Ligue : https://ligue.auteurs.pro/documents/statut-le-constat/ La demande aux éditeurs de payer plus régulièrement : La campagne vidéo « on a sauvé le livre » :
https://ligue.auteurs.pro/2019/01/18/reddition-trimestrielle-des-droits-dauteur-des-2019/
http://la-charte.fr/la-charte/realisations/article/on-a-sauve-le-livre