Norma et Daniel Bessières ont le privilège rare d’exposer les artistes dans un lieu où Vlaminck et Derain eurent leur atelier, la Maison Levanneur sur l’île des Impressionnistes à Chatou, haut-lieu du courant pictural du même nom et berceau du Fauvisme.
Bâtie au XVIIIème siècle, cette maison n’était à l’origine qu’un habitat de pêcheurs. La Seine coule à ses pieds. Agrandie, transformée, elle devint un bar restaurant puis on y loua des meublés. Les peintres aimaient y retrouver cette luminosité si particulière des bords de Seine. En 1900, alors que les bâtiments se dégradent, Derain (natif de Chatou) et Vlaminck y louent une salle pour en faire leur atelier. L’argent manque et l’hiver, ils se chauffent dit-on du bois des chaises inutilisées du restaurant. La Maison Levanneur côtoie la Maison Fournaise tout aussi célèbre. Là, quelques décennies plus tôt, Guy de Maupassant canotait en compagnie de Gustave Caillebotte et Auguste Renoir y a peint Les Canotiers à Chatou ou Le Déjeuner des Rameurs. Il est des endroits qui concentrent invention et créativité comme ce fut le cas de Vienne au début du siècle passé où les peintres Klimt, Shiele ou Kokoshka côtoyaient Freud, Musil et j’en passe.
Jusqu’en 1936, la Maison Levanneur est habitée mais se détériore rapidement. En 1991, elle est rachetée par la ville de Chatou et occupée de 1997 à 2017 par le Centre national d’art contemporain consacré à l’édition et aux arts imprimés.
C’est en 2018 que Norma et Daniel Bessières y installent leur galerie d’art contemporain. Elle est artiste, lui est dans les affaires. Ils ont pris goût aux manifestations d’art plastique après avoir organisé des années durant des expositions éphémères. Leur ambition est de créer une, si ce n’est la grande galerie d’art contemporain de l’ouest parisien. C’est chose faite avec ce lieu de 450 m2 répartis sur trois étages. Mais outre son histoire, pourquoi ce lieu ? Sortir de Paris pour recevoir mieux, disent-ils ! Venir sur l’Ile des impressionnistes, c’est oublier les difficultés de la capitale, c’est prendre le temps de respirer les odeurs du fleuve et de ressentir l’esprit des lieux.
Sur ces trois dernières années, le chemin fut semé d’obstacles : la crue de la Seine en 2018, les crises sociale puis sanitaire en 2019 et 2020. La devise de Paris « Fluctuat nec mergitur » pourrait être celle de la galerie Bessières.
Les œuvres que Norma et Daniel Bessières choisissent d’exposer s’inscrivent dans un triptyque qui rappelle l’histoire artistique du site : lumière, couleur et forme. La photographie y a aussi sa place. Il s’agit de nouer un dialogue entre photographie et peinture. Les impressionnistes furent attentifs à cette invention nouvelle qui leur permit de jeter sur le monde un regard différent.
Les choix de Norma et Daniel Bessières se portent soit sur de jeunes artistes talentueux sortis des écoles d’art de France ou d’ailleurs et n’ayant jamais exposé, soit sur des artistes à la réputation internationale mais toujours en résonance avec la puissance d’évocation de la Maison Levanneur.
Si leurs choix commencent toujours par un coup de cœur, Norma et Daniel Bessières, en galeristes avisés et soucieux du devenir de leurs peintres comme de leurs acheteurs, soumettent au préalable l’œuvre de l’artiste à une commission d’experts. Le créateur se voit ainsi conforter dans sa trajectoire et le collectionneur accompagner dans ses choix. Quelle que soit la haute opinion qu’un artiste peut avoir de lui-même, son œuvre n’existe que dans le regard des autres. Ils leur arrivent aussi d’inviter d’autres galeries afin que les œuvres comme les avis des commissaires d’exposition se confrontent.
La galerie Bessières est non seulement un centre d’art contemporain, mais aussi un lieu de rencontre pour les périscolaires qui s’initient à la création comme un lieu de partenariat avec l’entreprise.
Un regard porté sur quelques unes des expositions montre une cohérence dans les choix.
Du travail abstrait de Stephen Omandy où se conjuguent géométrie et lyrisme, en passant par les étonnantes photographies de Serge Najjar dans lesquelles une figure humaine vient toujours troubler leur abstraction géométrique, Shawn Hucking qui s’approprie portraits et paysages anciens en y taguant des signes ou messages en lettres bâton, Christopher Kuhn qui revisite le dripping pour nous dire que le hasard du geste contient toujours une part de nécessité, Jane Harris qui joue avec les trames, les surface et les profondeurs, Octave Marsal et ses utopies architecturales au trait précis comme des gravures de Durer, Jackson Patterson et ses photographies faites de plans pour rappeler la mémoire familiale et l’histoire des Etats-Unis, les photographies en ombres et lumières d’Alexis Reynaud, les paysages ou chiens lisses et onctueux de Camille Fontaine jusqu’aux sculptures sinueuses et déconstruites d’Alain Lambilliote (exposition encore visible organisée par Jean-Claude Thévenin, commissaire d’exposition), on perçoit une ligne de force dans le choix des galeristes : une sorte de joyeuse rationalité, peut-être même de gai savoir.
Avec la maison Levanneur, Norma et Daniel Bessières ont assurément créé la grande galerie d’art contemporain de l’ouest parisien. Ils vous y accueilleront avec courtoise, en connaisseurs avisés de ce qui se fait de plus singulier dans l’art d’aujourd’hui.
Paul Encelade